The Lulu Projekt
« Dans ma chambre, j’ai des palmiers.
Dans ma chambre, j’ai partout accroché des palmiers et les palmiers je les ai recouverts de ce que j’aurais voulu faire.
Youri dort au-dessus de mon lit.
Laïka, ma chienne de l’espace, je l’ai mise juste ici au-dessus de la fenêtre pour la laisser voler au vent.
Et là Sergueï Korolev.
Et là c’est la plus importante Valentina Terechkova.
On a le même âge sur la photo.
On a le même âge.
Ça c’est elle, ça c’est moi.
Avant il faisait des concours pour recruter les futures stars de l’espace.
Maintenant c’est fini.
Avant quand t’étais ouvrier tu pouvais espérer pouvoir faire 48 orbites autour de la Terre en 70 heures et 41 minutes, maintenant c’est fini.
Alors j’écoute les Sex Pistols et je regarde les vieilles stars de la nation.
Et j’attends que les extraterrestres viennent me chercher. »
Tu te demandes ce que tu pourrais attendre de plus, tu te demandes ce à quoi tu pourrais rêver de plus. Tu sais que demain il faudra imaginer faire autre chose si tu ne veux pas finir seul dans un coin.
Tu voudrais que ta mère soit plutôt fière de toi.
Tu voudrais trouver ce que tu as envie de faire vraiment et de le faire vraiment.
Seulement tu sais qu’on t’affectera là où on t’affectera, la question ne se posera pas tu feras ce qu’on te dira de faire.
Parfois tu penses à ce que ce serait un monde où tu pourrais choisir d’aller où bon te semble.
Parfois tu penses à ce que ça ferait que de pouvoir faire ce que tu as envie de faire.
* * *
« Je ne sais pas ce que je cherche.
Soit le monde est comme ça et il faut être comme ci.
Soit le monde est comme ci et il faut être comme ça.
C’est un peu comme si sans fin, une vieille était en train de s’éteindre dans la chambre d’à côté et que sans fin elle tirerait à n’en plus finir la sonnette d’alarme, t’empêchant d’être pleinement dans ce que tu voudrais faire maintenant.
Si Kurt Cobain avait existé, le monde aurait été différent. »
Lulu n’a jamais formulé un tel truc tout seul.
Ça non.
C’est elle.
La fille.
Elle lui a tout appris.
Car oui, Lulu l’avait retrouvée.
– T’es triste ?
– Je
crois.
– Dans mon pays la tristesse n’existe pas.
– Tu ne pleures pas quand quelqu’un comme Moritz y meurt ?
– C’est pas rien de voir le corps comme ça de Moritz pulvérisé en sang, mais dans mon pays on ne pleure pas.
– T’es New Age.
– J’emmerde le monde.
– Oh.
– Enlève tes culs de bouteille.
– Je peux pas.
– Fais-le.
– Tu vois ?
– Je sais pas, ça doit être comment ? beau ou laid.
– À toi de dire.
– C’est le ciel et toi avec les nuages, c’est comme si le vent venait d’entrer dans ma gueule. Regarde ça siffle et ça gronde dans mes rétines, je ne vois rien mais c’est une pluie qui me perfore la tête, putain que c’est beau la tache de ton visage dans mes rétines.
– Et là /
– Merde alors qu’est ce que tu fais /
Si Kurt Cobain avait existé dans ce monde il aurait dit : je te remercie depuis le gouffre brûlant de mon estomac nauséeux, pour l’intérêt que tu m’accordes.
– Tu es un gosse, trop erratique et trop instable.
– Il vaut mieux brûler franchement que s’éteindre à petit feu.
– Alors je vais t’embrasser et ce sera comme foutre le feu à tout. Lulu aveugle, ça te dirait d’aller voir les étoiles de plus près ?
– Faut voir.
– T’y verras rien, mais tu t’inventeras ton aurore boréale, avec la voie lactée qui danse dans le vent.
– Attends d’abord je laisse un mot. Si jamais on me cherche là-haut, qu’on sache où je suis. Moritz mon pote, viens, là où on va, les planètes dansent dans le vent et ça vaut son pesant.
Magali Mougel, The Lulu Projekt.
Inédit, 2015.
Pour citer ce document
Magali Mougel, « Collage », thaêtre [en ligne], Chantier #1 : Scènes du néomanagement, mis en ligne le 29 janvier 2016. url : https://www.thaetre.com/2015/12/22/collage-magali-mougel/
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