K.
Apparu au Japon dans les années 1960, puis popularisé dans les années 1980 dans le cadre des batailles judiciaires menées par les familles des victimes[1], le terme karôshi désigne la mort subite d’un travailleur par surmenage (crise cardiaque ou hémorragie cérébrale).
Ce phénomène est brièvement mentionné dans Made in China où le rachat de l’entreprise par un groupe chinois suscite de nombreuses craintes chez les cadres de la société et justifie en outre la multiplication des références culturelles asiatiques :
Jean-Pierre. Paraîtrait qu’au Japon y a une maladie qui frappe uniquement les jeunes cadres. Une mort foudroyante. Karochi ils appellent ça. Pas de symptôme… ça te tombe dessus et vlan[2]…
Ce terme a également donné son nom à une série de jeux de plateforme :
Ce salarié moyen n’en peut plus de sa vie sans saveur, du stress au boulot et des jours qui ressemblent aux précédents. Aidez-le à mettre fin à ses jours en réussissant à le suicider pour passer chaque niveau[3].
Les rapports entre arts martiaux et management font l’objet d’une littérature plus importante qu’on pourrait intuitivement s’y attendre, littérature attentive aux enseignements susceptibles d’être tirés de ces pratiques ancestrales en vue de « relever les défis auxquels le guerrier de l’entreprise est de plus en plus confronté »[4]. Parmi les arts martiaux existants, certains sont particulièrement plébiscités comme le judo[5], l’aïkido[6] ou le kendo.
Le kendo est la version moderne du kenjutsu, soit l’escrime au sabre que pratiquaient les samouraïs au Japon. De tous ses promoteurs, l’un des plus fervents est Pierre Delorme, artiste-peintre, consultant en management, expert en civilisation japonaise et professeur de boxe et de kendo, auquel on doit notamment Les Arts martiaux appliqués aux affaires (1990) et Le Management : un art martial (2004) :
« Au cœur même du marketing direct, le problème de fond sera toujours celui du management. » Partant de ce postulat, Pierre Delorme, consultant et responsable de formation à Aries Performance, a mis à profit son expérience de la culture japonaise en l’adaptant aux managers occidentaux. S’appuyant sur les principes philosophiques, physiques et comportementaux du kendo, le plus ancien des arts martiaux, il estime être en mesure d’aider les dirigeants à surmonter leur stress afin de mieux s’adapter aux circonstances, dans un environnement économique qui contribue à la baisse de l’efficacité des entreprises. « Faire l’unité du corps et de l’esprit des managers d’aujourd’hui, au sein d’une crise sans précédent, afin d’obtenir une plus grande performance dans l’épanouissement personnel », résume-t-il, soulignant cependant que le Japon ne doit pas être pris comme un modèle en soi mais comme source d’exemples susceptibles d’accroître l’efficacité des dirigeants.
De prime abord, le lien entre l’art du sabre et le management ne saute pas aux yeux du non-initié. Le principe de base du kendo management met cependant l’accent sur le caractère offensif, rapide et sans danger de ce sport que son promoteur considère comme le plus adapté à affronter une vie professionnelle de plus en plus marquée par la compétition. « Il faut penser en homme d’action et agir en homme de pensée », écrivait Henri Bergson à une époque où, pourtant, le marketing, fût-il direct, n’était pas encore né[5].
C’est à l’apprentissage d’un mouvement de kendo que sont invités Jean-Pierre, Philippe et Nicolas, dans Made in China, à l’occasion d’une semaine d’exercices censés évaluer leurs capacités d’adaptation à un nouvel environnement et destinés à déterminer lequel des trois sera choisi pour travailler dans la future filiale de Shanghai. Directrice des Ressources Humaines manifestement prompte à amalgamer références chinoise et japonaise, Lisa Degroot se charge de procéder à l’évaluation :
Salle de réunion. Jean-Pierre et Nicolas entrent. Ils ont revêtu une sorte de kimono. Ils tiennent un bâton en bambou long d’un mètre. […]
Lisa. Bien. Ce que je vous propose cette après-midi est l’apprentissage d’un mouvement de Kendo. Mouvement d’attaque avec un sabre. Comme ceci. (Elle le fait) Ensuite, j’accompagne le mouvement d’un cri. Ce cri libère l’énergie et paralyse l’adversaire. Allez chercher le son bien profondément… expulsez la violence qui est en vous[6].
[1] Voir Paul Jobin, « La mort par surtravail et le toyotisme », Les Mondes du travail, n° 6, sept. 2008, p. 103-116.
[2] Thierry Debroux, Made in China, Carnières-Morlanwelz, Lansman Éditeur, coll. Théâtre à vif, 2010, p. 9.
[3] url : http://www.dopamyne.net/j-275.html
[4] Quatrième de couverture de Pierre Delorme, Les Arts martiaux appliqués aux affaires, Paris, Guy Trédaniel Éditeur, 2013 : « La rapidité d’action – facteur clé de la réussite dans les affaires d’aujourd’hui – exige des qualités que l’on n’apprend ni dans les écoles de commerce, ni dans les séminaires de formation : le sens du timing, la vigilance permanente, le sens de la compétition, le courage, la concentration, l’intuition, l’esprit offensif, l’esprit d’équipe. Ces facultés, Pierre Delorme les a retrouvées à leur plus haut niveau dans la pratique des arts martiaux. De son expérience auprès des plus grands maîtres japonais, il a tiré les enseignements les plus utiles aux affaires. À partir d’exemples concrets, Pierre Delorme montre, dans Les arts martiaux appliqués aux affaires, que l’enseignement des samouraïs permet de relever les défis auxquels le guerrier de l’entreprise est de plus en plus confronté. »
[5] Voir Mary Kwak et David B. Yoffie, Judo Strategy, Boston, Harvard Business School Press, 2001 ; Charles Cohen, « PME, battez les grands groupes grâce à la judo-stratégie », Chef d’entreprise, 20 mars 2014.
[6] Voir Jean-Bernard Litzler, « Le management par l’aïkido », Le Figaro, 20 novembre 2006. L’aïkido management® constitue d’ailleurs une marque déposée par Éric Hubler qui en promeut les vertus dans le cadre de ses « ateliers du Leadership ». url : http://www.erichubler.com/formateur/aikido-management/
[7] R. M., « Le ‘‘kendo management’’ fait école en France », Les Échos, 26 janvier 1994.
[8] Thierry Debroux, Made in China, op. cit., p. 40.