Lumière d’août
Qui es-tu ?
Lumière d’août, une compagnie théâtrale et un collectif d’auteur-e-s fondé à Rennes en 2004. Le collectif est constitué des six auteurs fondateurs : Marine Bachelot Nguyen, Alexis Fichet, Alexandre Koutchevsky, Juliette Pourquery de Boisserin, Laurent Quinton et Nicolas Richard. La compagnie théâtrale est co-dirigée par trois d’entre nous (les premiers cités), qui sommes aussi metteur-e-s en scène.
D’où viens-tu ?
Du titre d’un roman de William Faulkner. De la rencontre entre six étudiant-e-s en Lettres sur les bancs de la fac de Rennes, à la fin des années 1990. De notre participation à un groupe de jeunes auteurs constitué par Roland Fichet au début des années 2000. D’une envie de se professionnaliser. D’une amitié durable, critique et conflictuelle parfois, jamais remise en cause. Du goût pour l’alliance entre littérature et théâtre, pour des textes en prise avec le monde. De la conviction que les textes qui s’écrivent aujourd’hui peuvent être joués et diffusés auprès de toutes les oreilles.
De quoi vis-tu ?
Des subventions de plusieurs tutelles (Région, Département, Ville). De la vente de spectacles et d’ateliers. D’une gestion financière globalement prudente, de la mutualisation raisonnable pratiquée par une génération d’artistes habitués à vivre avec peu d’argent.
Aucun des artistes de Lumière d’août ne vit uniquement des ressources de la compagnie, chacun travaille aussi ailleurs (ateliers, commandes de textes, assistanat à la mise en scène…). Quatre vivent complètement de leur travail artistique (deux sont intermittents du spectacle, deux autres dépendent du régime général). Deux sont enseignants et ont des revenus artistiques accessoires. L’administratrice de la compagnie a un emploi à plein temps (poste associatif soutenu par la Région, dont l’aide s’arrête en septembre 2015, ce qui pose la question de la pérennité du poste).
Comment tu t’organises ?
Comme tout le monde ne vit pas dans la même ville, Internet est central dans la communication en interne, que ce soit pour la circulation et la critique de nos textes, ou la rédaction de dossiers variés. Mais nous avons aussi de nombreux rendez-vous physiques : réunions hebdomadaires avec l’administratrice et les chargées de diffusion, résidences au moins deux fois par an entre les six auteurs fondateurs. Chaque auteur-e et chaque metteur-e en scène est maître de ses prises de décision concernant ses textes et ses projets, même si le collectif a un rôle consultatif et de conseil important.
Le management, ça t’inspire quoi ?
C’est un anglicisme plutôt désagréable à l’oreille, un terme provenant de l’organisation du travail dans le libéralisme économique, destiné à motiver les travailleurs, pour qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes – voire acceptent joyeusement d’être exploités. Mais concrètement, dans une petite compagnie ou en tant que metteur-e en scène, on a besoin de qualités managériales. Le management, c’est aussi de la débrouille et de l’organisation, de la gestion de personnes, un travail de direction.
Une compagnie, c’est une petite entreprise ?
Oui. Même si nous avons, comme la plupart des compagnies, une structure juridique associative. Une compagnie, c’est une petite entreprise, mais qui ne fait pas de bénéfices ni ne creuse de déficit. À Lumière d’août, nous nous vivons plutôt comme une coopérative de production.
Mettre en scène, c’est être le patron ?
Oui. En tout cas, c’est être la personne qui a la responsabilité-employeur des membres de l’équipe, tout comme la responsabilité de la production, du processus, comme de l’œuvre qui sera créée. La mise en scène est une fonction de direction. Nous croyons au collectif, nous pensons qu’une œuvre de théâtre est le produit d’un groupe, mais nous pensons aussi qu’il faut que quelqu’un assume le geste final, pour sa précision, sa signature.
Est-ce que tu as déjà licencié quelqu’un ?
Non. Il y a parfois des collaborations qui s’achèvent au terme d’un projet ou d’un cycle de projets, mais ce ne sont pas des licenciements.
Être artiste, est-ce se vendre ?
Non. Mais le théâtre est un art qui coûte pas mal d’argent, où la vente a donc une importance plus grande qu’ailleurs (plus qu’en littérature, par exemple). On peut remarquer que les artistes qui ont une bonne formation en marketing, qui ont fait Sciences Po, qui sont des communicants doués, se vendent beaucoup mieux que nous ne le faisons…
Le créateur : un travailleur émancipé ?
Peut-être. Au sens où l’on organise soi-même son emploi du temps, où on se donne souvent soi-même des contraintes, où l’autonomie importe beaucoup. Le risque est bien sûr celui de l’auto-exploitation : quand la logique capitaliste systémique rattrape le travailleur émancipé…
Qu’est-ce qui a changé pour toi ces cinq dernières années ?
L’embauche d’une salariée à plein-temps pour l’administration et la coordination a permis une réorganisation et une redistribution du travail au sein du collectif, et davantage de temps dégagé pour l’artistique.
L’expérience de direction, de gestion et de programmation d’une salle de théâtre confiée par la Ville (la salle Ropartz, dans le quartier populaire de Maurepas, à Rennes) pendant quelques mois. Nous y avons confirmé notre goût pour les formes artistiques qui alternent le dedans et le dehors, pour des écritures qui s’inscrivent et circulent dans le paysage. Et cela nous a donné la mesure de l’investissement que requiert la gestion d’un théâtre.