Pôle Nord
Qui es-tu ?
Je suis une association loi 1901 créée en Ardèche en 2009. Je produis des spectacles, je les tourne, et je transmets mes connaissances à qui veut les approcher.
D’où viens-tu ?
Je viens de l’envie d’un couple d’acteurs de créer sur la route, n’importe où, dans une cour, une cuisine, un jardin, un parking, dans un temps sans attentes et sans contraintes commerciales. J’essaie de protéger avant tout ma création des pressions du monde de la Culture. Je cherche un chemin indépendant autant que possible, mais ouvert, et une souplesse dans mon organisation et mon économie.
De quoi vis-tu ?
Aujourd’hui, je vis de subventions ponctuelles : de mon département, de ma région et de ma DRAC ; et des réserves faites par la vente des précédents spectacles. Mes fondateurs donnent beaucoup de leur temps sans être rémunérés, d’où la nécessité pour eux de passer parfois par un job alimentaire, ou par le chômage. Cet aller-retour entre activité créatrice et métiers alimentaires crée un souffle souvent nécessaire à mon inspiration. Mais la vie avance, et les récentes lois du chômage rendent désormais impossible ce genre de mélange. Il va bientôt falloir faire autrement.
Comment tu t’organises ?
Mon plus grand souci est d’accorder le temps et l’espace nécessaires à ma création quel que soit l’argent dont je dispose. C’est pourquoi j’imagine les choses en tout petit pour commencer, et à mesure que le spectacle se construit, je cherche les moyens de le laisser grandir, en respectant les rythmes de la vie. C’est pourquoi aussi je n’ai pas de garantie à donner, je ne peux pas m’engager des années en avance, ni auprès de trop de monde en même temps.
L’administration. Je suis accompagnée par un Bureau composé de deux bénévoles bienveillants, et une administratrice comptable salariée comme les artistes au gré de mon activité. Mes fondateurs se chargent de la production et de la communication. Je n’emploie personne en CDI car je ne souhaite pas avoir une activité pérenne – peut-être que je m’arrêterai du jour au lendemain.
Les répétitions. Mon activité artistique s’adapte aux besoins des fondateurs : s’il faut arrêter de tourner pour répéter, je m’arrête. Si je n’ai pas d’argent pour répéter, je m’adapte mais je répète quand même, j’irai chercher des sous plus tard. En général je ne demande pas de co-production à un théâtre pour pouvoir m’arrêter si besoin, et ne pas avoir de date-butoir tant que je ne suis pas certaine du temps dont les artistes ont besoin : deux mois, six mois, un an ?…
Je présente régulièrement des étapes de travail qui sont essentielles : j’ai besoin du public pour continuer l’écriture du spectacle et assumer certains choix artistiques. Ces étapes permettent aussi de maintenir le dialogue avec les lieux et les personnes qui suivent le travail.
À partir du moment où d’autres artistes que les fondateurs sont invités à rejoindre le projet, je m’organise pour que le temps qu’ils donnent soit rémunéré.
La tournée. Comme jusqu’ici je fonctionnais sans co-production, je bénéficie peu des réseaux de théâtres qui font tourner les spectacles entre eux. Mes tournées s’organisent donc généralement en deux temps. D’abord « à la bonne franquette » : j’essaie de jouer le plus longtemps possible dans les grandes villes en partage de recettes, et en parallèle je passe dans les lieux qui me font confiance et ont acheté le spectacle sans l’avoir vu, ce qui permet d’assurer un salaire à l’équipe. Ensuite, en fonction de cette première phase, si l’accueil est bon, d’autres lieux achèteront le spectacle et je le vendrai au prix qu’il vaut. Mais je n’ai pas la garantie que l’argent investi au départ sera ensuite récupéré.
L’autonomie. La première phase de tournée « à la bonne franquette » me demande d’être relativement autonome. Je me suis équipée au fur et à mesure d’un gradin modulable, d’une sono, d’une remorque. Le décor est conçu pour tenir dans les véhicules à disposition ; mes lumières sont faites pour pouvoir se brancher sur une prise domestique, et je m’arrange pour que la technique du spectacle soit la plus simple possible (lumière invariable, bande-son continue…). Dans cette première phase donc, l’équipe artistique sera en charge du transport du décor, du montage, de la régie, du jeu, de la rencontre avec les publics et du démontage. Mais cette phase du travail use, et je ne pense pas qu’elle soit viable à long terme.
Qu’est-ce qui a changé pour toi ces cinq dernières années ?
L’étau se resserre, et le monde de la Culture se replie sur lui-même, c’est palpable. J’arrive à un moment où je ne veux plus créer sans l’intransigeance et la rigueur qui sont les miennes, et en même temps je ne suis pas douée pour me vendre ni pour remplir des dossiers de subvention trop lourds qui ne correspondent pas à mon rythme de travail. Je n’ai pas envie de faire appel à des fondations privées parce que cela me pose un problème éthique, et je me demande comment j’arriverai à pratiquer mon métier en restant aussi libre. J’envisage quand même de faire appel à une demande de conventionnement, parce qu’en ce moment je suis capable de me projeter dans les trois prochaines années, mais je ne suis pas sûre de pouvoir apporter les garanties demandées. J’ai l’impression d’essayer de résoudre un rubik’s cube insoluble. Le système est verrouillé, il a perdu sa raison d’être. Quelques zones de solidarité émergent parfois à contre-courant. Et ça fait du bien.
N.B. (ajouté a posteriori par la compagnie) : La compagnie Pôle Nord a donc fait sa demande de conventionnement DRAC en décembre 2015. On lui a vite fait comprendre qu’elle n’était pas légitime.
Pour citer ce document
L’Amicale de production, L’Avantage du doute, Thibaud Croisy, Lumière d’août, Bruno Meyssat, Gwenaël Morin et Pôle Nord, « Comment tu t’organises ? », thaêtre [en ligne], Chantier #1 : Scènes du néomanagement, mis en ligne le 29 janvier 2016. url : https://www.thaetre.com/2016/01/10/comment-tu-torganises/
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