P.
Perruques.
« Sans perruques poudrées ni bonnets phrygiens » : la formule du dossier de presse, régulièrement citée, dit clairement le refus du théâtre « en costumes » et de la reconstitution du spectacle de l’Histoire, au bénéfice d’un salutaire ressaisissement au présent du processus révolutionnaire. Dégagés de l’apparat XVIIIe siècle – et notamment de cet attribut symbolique de la domination politique et sociale sous l’Ancien Régime, et d’une mode qui ne survivra pas longtemps à la Révolution –, les représentants de l’aristocratie tout comme les députés du tiers, loin de l’imagerie traditionnelle, affichent chez Pommerat les uniformes modernes du pouvoir (costumes et tailleurs gris et noirs) et des coiffures ad hoc. Mieux encore, la jeune calvitie du comédien qui prête sa silhouette au roi Louis (Yvain Juillard) – entre Albert de Monaco et William d’Angleterre – relègue très efficacement aux oubliettes la perruque poudrée, vieil accessoire postiche d’un théâtre historique périmé. En lieu et place du petit marquis courtisan et ridicule – dont certaines productions kitsch et néo-rococo perpétuent le stéréotype –, le spectacle campe une aristocratie autrement dangereuse, athlétique et pleine de morgue, la mâchoire carrée et le cheveu ras, prête à en découdre pour défendre la France éternelle (scène 7). Vers la fin du spectacle (scène 24), à Paris où l’Assemblée a suivi la famille royale, la longue tirade provocatrice de la députée Versan de Faillie (Agnès Berthon) – véritable baroud d’honneur des monarchiens – provoque l’action scénique, violente et inattendue, d’une sorte d’enfarinage (farine, peinture, papier broyé) de la comédienne, faisant un instant surgir dans l’imagination du spectateur la figure condamnée, fantomatique et dérisoirement clownesque, de l’aristocrate poudrée.
La perruque – radicalement bannie de la scène dans son apparence et son usage ancien-régime, comme élément de pittoresque historique et/ou de distinction sociale – constitue pourtant un élément indispensable pour le bon fonctionnement du spectacle et mieux encore le vecteur privilégié d’une théâtralité proprement « pommeratienne ». Entrant dans la composition de nombreux costumes, avec les apparences les plus variées, cet accessoire omniprésent permet, de fait, aux quatorze comédiens en scène de camper successivement plusieurs personnages, de premier ou de second plan, et de donner ainsi corps et substance, sinon à la foule révolutionnaire, du moins aux multiples acteurs d’un processus politique complexe, dont le spectacle rend compte sur le mode de la fresque. Opérateur théâtral efficace de ces changements de rôle, dans ses pouvoirs de métamorphose immédiate, la perruque accompagne le glissement des identités et des positions, facilitant pour le spectateur l’identification des figures nombreuses du spectacle, de la Cour à l’Assemblée, des comités de quartier aux rassemblements populaires. Appui de jeu éprouvé (au service du travail de l’improvisation chez Pommerat), elle permet aux acteurs d’endosser les opinions les plus contradictoires, et de construire les différents discours, qu’ils ont pour objectif de faire entendre au fil des débats et disputes que le spectacle met en scène. Le soin tout particulier donné à cette composante indispensable du costume se lit dans le programme, où figurent en bonne place les noms d’Estelle Tolstoukine – dont le hasard nous apprend par ailleurs qu’elle fut assistante coiffeuse en 2006 dans le Marie-Antoinette de Sofia Coppola ! – et de Julie Poulain en « renforts perruques » (sic).
Courtes, méchées, bouclées, à la lionne ou au carré etc., il est des perruques de toutes sortes dans Ça ira, agents d’un frégolisme scénique réjouissant qui contribue littéralement à donner ses couleurs au spectacle : la perruque courte et peroxydée de la reine confère à Anne Rotger le glamour d’une star chic, bientôt remplacée par le carré roux, sagement prétentieux, de la députée Camus ; un casque de mèches feu permet à Yvain Juillard de troquer l’apparence sagement fuyante de Louis contre celle du fougueux député Possion-Laville ; l’effet curieux d’un petit bol brun transforme le Premier ministre Muller (Yannick Choirat) en député Cabri ; un brushing court et de fière allure pour Élisabeth (Agnès Berthon) contraste plaisamment avec la chevelure de la journaliste Marie Sotto d’un désordre négligemment seventies… Et l’on pourrait citer encore la blondeur soigneusement apprêtée de la députée Hersch (Ruth Olaizola), la tignasse grise du député Lamy (Gérard Potier), la rousseur juvénile du député Lagache (Anthony Moreau), le petit toupet du député Boudin (Philippe Frécon) etc. Il y a ceux qui jouent de la perruque, et ceux qui n’en ont pas (Louis, les députés Carray et Ménonville, la députée Lefranc), dans cette comédie du politique où s’exhibe à dessein le jeu du théâtre, et une forme d’artificialité un peu kitsch de café-théâtre – présente dans les spectacles antérieurs de Pommerat, où les perruques sont légion – décalant sensiblement la référence contemporaine en la théâtralisant. Cet « effet perruque » n’est pas sans rapport avec l’invention des noms propres – l’une des caractéristiques amusantes du spectacle – destinés à effacer le contexte historique et à brouiller les repères du spectateur, pour mieux faire jouer l’Histoire au présent (voir Noms). Vraisemblable, mais dénonçant sa facticité, l’onomastique mobilisée par Pommerat contribue, elle aussi, à « habiller » cette humanité commune prise dans l’urgence d’une révolution en marche, en jouant – non sans burlesque – sur les sonorités, les sémantismes programmatiques, l’excès ou la trivialité : Versan de Faillie, Possion-Laville, Dumont-Brézé, Boberlé, Gigart, Camus, Cabri, Boudin etc. Dans Ça ira, les noms propres eux aussi sont des postiches.