9 x 9 questions sur la recherche-création

Catherine Naugrette


 

Comment, dans votre parcours, avez-vous rencontré la question de la recherche-création ?

J’ai commencé mon parcours en études théâtrales, par une maîtrise effectuée en 1978-1979, avec Bernard Dort, qui a ensuite été mon directeur de thèse à l’Institut d’études théâtrales de Paris 3 (IET). À cette époque, les études théâtrales étaient beaucoup plus restreintes qu’aujourd’hui. Il y avait en France quelques endroits, essentiellement parisiens, et surtout l’IET où les études théâtrales étaient nées, qui proposaient un parcours allant jusqu’au doctorat. Très peu d’étudiants venaient d’un parcours effectué uniquement en études théâtrales. Comme dans la plupart des domaines artistiques, notamment en cinéma, les études théâtrales ou cinématographiques ont été au départ fondées par des transfuges majoritairement venus des lettres, comme Jacques Scherer, le fondateur de l’IET. Il y avait des exceptions comme Bernard Dort, mais il venait de l’ENA, donc ce n’était pas non plus un artiste ! Moi-même, comme beaucoup d’étudiants de cette époque, je venais d’un parcours littéraire. À côté de cela, il y avait des artistes, des praticiens, qui faisaient un diplôme à Paris 3 comme Jacques Lassalle ou Valère Novarina, puis repartaient, éventuellement revenaient y enseigner en tant qu’associés, mais ne s’engageaient pas dans une recherche-création.

En ce qui concerne la recherche, à ma connaissance, elle ne pouvait pas à l’époque se combiner avec la pratique artistique. Il y a l’exemple de Jacques Nichet, qui était le metteur en scène que l’on sait au Théâtre de l’Aquarium et qui était en même temps enseignant à Paris 8, ou Bernard Faivre à Paris 10. Or chacun a finalement dû choisir entre l’université et la carrière de praticien, Jacques Nichet choisissant la carrière artistique et Bernard Faivre la carrière universitaire.

Moi-même, j’ai fait du théâtre universitaire, avec Jacques Nichet d’ailleurs, jusqu’à mon DEA, mais de façon séparée de mes recherches, puis j’ai choisi l’université en m’inscrivant en thèse. Jusqu’à récemment, le doctorat dans le domaine des études théâtrales (ce qui n’est pas le cas pour toutes les disciplines artistiques) est en effet resté très académique. Je connais beaucoup de praticiens qui auraient souhaité faire un doctorat, mais qui ne s’y sont pas engagés ou ont dû abandonner, faute de temps et parce que la recherche-création n’était pas encore d’actualité en théâtre. Cette question a commencé en réalité à se poser dans les années 2000 : lorsque, devenue professeur en études théâtrales à Paris 3, j’ai pris en 2005 la direction de l’École doctorale « Arts et Médias », je me suis véritablement aperçue du manque absolu, en France, de tolérance, d’imagination et de bonnes pratiques dans le domaine des thèses artistiques en études théâtrales.

Ainsi, je me souviens du montage d’une cotutelle avec l’université de Laval, au Canada. Les Canadiens avaient déjà une pratique courante des thèses en recherche-création, qui impliquaient la production d’une mise en scène, accompagnée d’une thèse d’environ 150 pages. Côté Paris 3, nos exigences étaient d’au moins 300 ou 400 pages de texte et ne laissaient guère la possibilité de comporter une partie de création artistique. J’ai vraiment constaté à ce moment que les études théâtrales conservaient en France une conception très monolithique des thèses, héritée des études littéraires.

Peu après, je suis devenue vice-présidente puis présidente de la section 18, c’est-à-dire la section Arts, du CNU (Conseil national des universités). Cette section pluridisciplinaire a fini de me faire prendre conscience des différences entre les disciplines, et du fait que ce type de thèses mêlant recherche et création existait dans d’autres domaines. Dans les arts plastiques par exemple, la tradition est très différente, et même en musique. Pour être spécialiste des arts plastiques à l’université ou pour exercer en musicologie, il faut avoir une pratique. En théâtre, pas du tout, du moins pas nécessairement.

Ces différents événements vous ont conduite à fonder le RESCAM : le réseau « Création, Arts & Médias ».

Monique Martinez, alors directrice de l’École doctorale ALPHA de Toulouse et moi-même, nous avons eu en effet l’idée de créer un réseau des écoles doctorales réunissant les arts et médias, autour de la notion de création. Fondé en 2010, ce réseau (RESCAM) réunit les principales écoles doctorales en France qui comportent des disciplines artistiques. Très vite au sein de ce réseau, il nous est apparu que l’une de nos missions était de réfléchir à ce qui était en train de se développer à cause – ou grâce – à l’application du système LMD (Licence-Master-Doctorat) dans les écoles d’art, qui a ravivé l’existence du doctorat artistique. Puisque l’on demandait de plus en plus aux écoles d’art un niveau « M » dans la perspective de la mise en place d’un niveau « D », la question s’est posée à nouveaux frais du lien entre pratique artistique et recherche universitaire.

Grâce à la constitution du RESCAM, nous nous sommes vite aperçus que nous pouvions être entendus du ministère plus facilement ensemble que séparément, et donc nous avons participé à la réflexion engagée sur le nouveau doctorat, même si l’avancée sur ce point est encore timide et seulement de principe. Un des membres du réseau, Franck Renucci, de Toulon, avait été chargé de mission par le CNRS pour réfléchir à cette question, et a été très actif dans notre réflexion, de même que des personnalités de la Culture comme Geneviève Meley-Othoniel, ce qui nous a conduits à produire et proposer un texte de réflexion transmis au ministère. Il y a quelques années, j’ai également été sollicitée, en tant que présidente de la section 18 du CNU, par le directeur de l’école doctorale d’Aix-Marseille, car il voulait mettre en place un doctorat de recherche-création concernant plusieurs disciplines, ce qui a été fait depuis. Mes collègues du CNU ont par ailleurs porté à ma connaissance ce qui se faisait notamment en musicologie avec le CNSM (Conservatoire national supérieur de musique) et l’Ircam (Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique), et en danse à Paris 8.

Quelles sont les principales questions que vous posent ces doctorats ?

Le premier problème de ce type de doctorat tient, me semble-t-il, à son format : en quoi consiste-t-il ? Le deuxième problème concerne la partie théorique de ces thèses : à quoi sert-elle et pour quelle reconnaissance ? Quelle doit être son amplitude ? On entend beaucoup parler de « thèses au rabais »… Si cette partie théorique est trop réduite, il y a un réel danger que ces thèses ne soient pas considérées au niveau des autres. Il faut donc trouver des garanties qui permettent à ces doctorats d’être reconnus à part entière. Enfin, se pose la question de ce qu’est la recherche, et plus particulièrement la recherche en art. Il y a beaucoup de polémiques à ce sujet. Certains directeurs d’écoles d’art soutiennent que toute création artistique constitue sa propre recherche. Créer un objet d’art constituerait une recherche en soi et donc la seule création de l’objet suffirait pour constituer un doctorat. Je ne suis pas du tout sûre d’avoir des réponses définitives sur ces questions. J’ai des réponses circonstancielles et circonstanciées. Le ministère a refusé de distinguer des doctorats à valeur différente et a préféré garder l’homogénéité d’un seul doctorat : on peut comprendre pourquoi, mais, en même temps, je pense que c’est dommage, car tout le monde ne fait pas un doctorat pour les mêmes raisons, avec la même démarche, ni avec le même but, la même finalité. Il devrait donc y avoir plusieurs types de doctorat. Un artiste n’ambitionne pas forcément de faire un doctorat pour les mêmes raisons que quelqu’un qui sort d’un master universitaire, et inversement.

Cette division proposée ne touche-t-elle pas à la chimère du doctorat unique, par-delà les disciplines ?

Lors de la table ronde que nous avons eue en clôture du second colloque de RESCAM en octobre 2017, Jean-Loup Rivière a dit que les thèses SACRe étaient « des événements de création ». Les thèses académiques sont aussi des événements, des événements de pensée. À mon sens donc, une thèse en recherche-création doit être à la fois un événement de création et un événement de pensée. S’il n’y a qu’événement de pensée, c’est une thèse tout court. S’il n’y a pas événement de pensée, nous ne sommes pas dans une recherche universitaire, scientifique. Pour qu’il y ait une thèse de recherche-création, il doit y avoir un double événement. Il ne faut pas baisser les exigences. C’est la condition sine qua non pour que l’on ne juge pas ces thèses comme étant des thèses au rabais. Cela ne veut pas dire qu’il faut produire 600 pages et une création artistique. La profondeur de pensée n’attend pas nécessairement la longueur ni le nombre des pages, mais il faut néanmoins qu’il y ait une profondeur de pensée suffisante, qui accompagne la démarche artistique.

Est-ce que la recherche-création vous apparaît comme l’une des dernières libérations de la discipline théâtrale vis-à-vis de la discipline littéraire ?

Ces nouveaux doctorats sont très importants pour que soit reconnue la discipline théâtrale dans sa double dimension, théorique et pratique. Il s’agit peut-être de l’un des derniers murs à abattre pour que les études théâtrales soient pleinement affranchies de leur origine et détachées des études littéraires.

Il y a depuis longtemps des avancées majeures au niveau du master, où l’on est bien plus libre. Par exemple, à Paris 3, nous avons mis en place depuis quelques années un master « Théâtre en création », dirigé par Joseph Danan, qui comprend la production d’un spectacle, et qui fonctionne en partenariat avec l’ESAD (École supérieure d’art dramatique). Au niveau doctoral, il y a beaucoup plus de résistances, de difficultés.

Nous ne sommes pas aux États-Unis, au Canada, en Allemagne ou en Angleterre, pays dotés de locaux et d’infrastructures très développés, y compris dans les secteurs artistiques de l’université. En France, les universités n’ont pas les moyens pratiques ni logistiques. Il faut selon les cas mettre en place un partenariat avec une école d’art ou un théâtre. Il faut aussi une double direction entre un artiste et un universitaire, l’université – via les écoles doctorales – assurant alors une homogénéité et une reconnaissance égale pour tous.

La maîtrise des conditions économiques de production est un des sujets fondamentaux pour qui s’engage en recherche-création. Est-ce un sujet abordé par l’université ? Dans le cadre de SACRe, une enveloppe est allouée pour la création. Est-ce le cas à Paris 3 par exemple ?

Absolument pas, et pourtant c’est fondamental. Le succès du doctorat SACRe s’explique pour une bonne part par son financement. C’est un sujet pour tous les doctorants, mais d’autant plus pour les doctorants en recherche-création, la partie « concrète » étant très importante. La plupart des universités, dont la nôtre, connaissent une période d’économie et de réduction des moyens, notamment des contrats doctoraux. Dans ces conditions, il est difficile de mettre en place une bourse spéciale pour un doctorat en recherche-création. L’une des options de financement possible serait les contrats Cifre (Conventions Industrielles de Formation par la REcherche)[1]. Or les entreprises du spectacle sont extrêmement frileuses face à ces contrats. Même les grands théâtres nationaux refusent la plupart du temps. Ces contrats ne sont pas rentrés dans la culture des entreprises du spectacle. Cela dit, les entreprises qui accueillent des contrats Cifre sont des entreprises souvent très riches et qui ont dans leurs gènes la volonté de former un jeune pour l’embaucher ensuite. Il n’y a sans doute pas la même mentalité dans les théâtres, où les stages (même longs) dominent encore.

Ce qui est sûr, c’est que de gros progrès ont été faits, tant dans la reconnaissance que dans la diffusion et la mise en place de ce type de doctorats. Je pense qu’il y a actuellement une vraie volonté, notamment de la part du ministère de la Culture. Je suis plutôt optimiste. Cela prend du temps… Regardez le cas des études théâtrales qui, pendant plus de quarante ans, sont restées limitées à quelques départements universitaires en France, puis se sont disséminées et dont la reconnaissance s’est faite dans le milieu académique. En ce qui concerne la recherche en création, c’est en train de bouger en ce moment, à tous niveaux : les différents interlocuteurs se rencontrent, parlent ensemble, et c’est déterminant.

La recherche-création semble apparaître en théâtre, car elle accueille le croisement des disciplines. Revendiquez-vous un terme en particulier parmi « interdisciplinaire », « pluridisciplinaire », « postdisciplinaire », termes que l’on emploie aujourd’hui fréquemment ?

Je ne choisirais pas entre les termes. L’important, c’est de savoir d’où l’on parle. Et pour le savoir, il faut identifier la discipline d’où l’on parle. En 2009, à Paris 3, j’ai créé un parcours de Master intitulé « Théâtre et autres arts » dont l’idée était de partir du théâtre pour examiner comment il y a croisement, dialogue, interpénétration, voisinage, transmutation… au sein des rapports entre le théâtre et les autres arts. Du coup, il importe aussi de savoir de quoi on parle lorsque l’on parle de théâtre, de manière à pouvoir le différencier des autres arts et à voir comment il peut être investi, traversé, « transi » par les autres arts.

Pouvez-vous présenter un projet qui vous paraît relever de la recherche-création : d’où est-il né ? De la recherche, de la création, d’un interstice ? D’une rencontre ? D’une initiative institutionnelle ?

Le projet de Matthieu Roy[2] me semble exemplaire. Son parcours se situe entre l’université et les écoles d’art, entre l’artistique et l’académique. Il a été l’un de mes étudiants de première année de Licence à Paris 3, dans les années 2000, en suivant mon cours d’esthétique théâtrale. Après sa licence d’études théâtrales, il a intégré le TNS en section Mise en scène/Dramaturgie. Puis, il a fondé la Compagnie du Veilleur et est devenu un artiste à part entière. Dernièrement, il a pris la direction de la Maison Maria Casarès. Matthieu Roy s’est toujours intéressé à la question du lieu théâtral, des conditions de représentation, et à la mise au point de dispositifs immersifs. Pour faire un point à la fois historique et théorique, et pour approfondir sa réflexion sur un projet de dispositif concret pour ses créations, il est venu me voir il y a trois ans pour mettre en place ce qui est le premier doctorat en recherche-création à Paris 3.

Europe connexion, texte d’Alexandra Badea, mise en scène de Matthieu Roy, Lieu multiple (Poitiers), mars 2018.
Scénographie de Gaspard Pinta, avec système son binaural intégré dans les assises.
© Olivier Naudin

© Olivier Naudin

© Olivier Naudin

Au même moment ou presque, le fait d’être nommé directeur de la maison Maria Casarès, lui a fait faire un bond en avant pour la faisabilité de ce doctorat, puisqu’il a eu les moyens d’imaginer, de scénographier et de construire ce dispositif, en lien avec un projet qui concerne un aspect de développement durable. Ce qu’il va nous rester à déterminer maintenant pour son achèvement, c’est la forme de cette thèse qui va être tout à fait pionnière à Paris 3.

Le prototype de restitution est-il déjà imaginé pour la soutenance ?

Sous quelle forme cela peut être présenté pour la soutenance ? Je ne vois pas le jury se déplacer près de Poitiers. Je ne vois pas non plus le prototype se déplacer à la Sorbonne. Je pense que, dans ce cas-là, ce sera sur maquette, construite et/ou en 3 D. Ayant déjà fait partie de jurys de thèses d’architecture, pour des architectures de théâtre, j’ai pu assister à la présentation par les jeunes architectes de leurs maquettes et esquisses. Dans notre cas, il va falloir imaginer un système de représentation à partir de documents nous permettant d’appréhender ce nouveau dispositif. Peut-être des photos, une vidéo ou un prévisionnel de fonctionnement sur maquette.

 

Quelles résistances rencontrez-vous ou avez-vous rencontrées (institutionnelles, économiques, épistémologiques, artistiques…) ? Pouvez-vous donner un exemple concret ?

Je n’ai pas rencontré de résistances particulières, sauf parfois administratives, mais pour des raisons académiques. Même s’il a fallu le temps que le concept soit installé, que ce phénomène invasif gagne tout l’édifice, les principales résistances que j’ai rencontrées datent de 2000. Je codirigeais l’IET. On voulait transformer, avec le regretté Daniel Lemahieux qui en était le responsable, le DETS (Diplôme d’État d’éducateur technique spécialisé) en licence professionnelle d’encadrement d’ateliers. Là, nous avons été fortement soutenus par le ministère de l’Enseignement, qui à cette époque-là était représenté par Catherine Joannes, mais les plus grandes résistances sont venues du ministère de la Culture qui voulait, à ce moment-là, mettre en place un Diplôme Universitaire dans le même domaine et redoutait la concurrence d’une licence professionnelle. Cela a donné des heures et des heures de négociation acharnée, difficile, mais souvent passionnante. On l’a finalement emporté, mais, à cette époque, le ministère de la Culture n’était pas du tout partant pour collaborer avec l’université sur des diplômes professionnels. C’était il y a vingt ans. Aujourd’hui, on retrouve des divergences d’opinions, mais avec une espèce de reconnaissance implicite et partagée de la nécessité d’aller dans ce sens. Même s’il a eu des effets négatifs, il faut reconnaître que le LMD a fait bouger des choses. À la hache, ce système a imposé une harmonisation. Par force, les gens se sont parlé. Malgré certains préjugés, j’ai toujours rencontré des gens de bonne volonté.

Comment décririez-vous les relations entre lieux dédiés à la recherche, lieux dédiés à la formation et lieux dédiés à la création ?

La plus grande difficulté, c’est la diversité des moyens, des situations et des positions. Du côté de l’université, les études théâtrales sont loin d’être harmonisées en France : elles ne sont pas rattachées aux mêmes UFR (Unités de Formation et de Recherche), elles ne sont pas associées aux mêmes disciplines (selon que l’on se retrouve associé aux arts plastiques, à la littérature française ou aux langues, ce n’est pas la même chose), elles n’ont pas le même voisinage en termes d’écoles d’art, et elles se trouvent dans un paysage en pleine recomposition. Des universités fusionnent, des écoles d’art se retrouvent dans une COMUE (COMmunauté d’Universités et Établissements) plutôt qu’une autre. Par ailleurs, on a une diversité de réflexions et de prises de position épistémologiques sur la question de la recherche en art. Tout cela fait que la mise en place est longue.

Les universités et les théâtres se parlent depuis longtemps. Mais ils se parlent majoritairement au niveau des licences et des masters, notamment pour les stages. Le doctorat a toujours été considéré un peu à part. Surtout, le nouveau doctorat est en régression absolue sur ce point, avec la suppression de la possibilité de réaliser des stages, ce qui va à l’encontre du doctorat en recherche-création. Auparavant, un doctorant pouvait passer six mois, voire un an, en stage, auprès d’un artiste, dans un théâtre ou dans une galerie. C’était une chance d’allier pratique et théorie. Sa disparition représente une espèce de contradiction.

Habituellement, les travaux de recherche et les œuvres artistiques ne créent pas les mêmes objets et ne partagent pas les mêmes modes de diffusion. Dans quelle mesure, selon vous, la recherche-création permet-elle de former des objets hybrides ? Le cas échéant, quels changements en termes de diffusion ces objets impulsent-ils ?

La recherche-création est un terrain privilégié pour l’expérimentation et pour faire avancer la création. Même s’il y a un montage logistico-pratique et financier à trouver, c’est un espace-temps gratuit pendant lequel on peut expérimenter librement. C’est l’un des rares moments, et c’est ce que disait Antoine Vitez à ses élèves-comédiens, où un artiste étudiant peut bénéficier de plusieurs années de liberté créatrice en dehors de toutes contraintes, du marché, des circuits, où il peut donc expérimenter et, espérons-le, faire avancer la recherche et la création à la fois. C’est la richesse de ces doctorats, une fois qu’ils sont montés. Vous avez un espace formidable dans lequel vous pouvez, comme dirait Peyret « in vivo in vitro », expérimenter sans les contraintes du monde professionnel.

À votre avis, que manque-t-il encore à la recherche-création en France ? Ou avez-vous connaissance d’autres modèles sur le plan international que vous aimeriez voir transposés ?

Dans le premier colloque RESCAM, nous avions évoqué cette question, avec Gretchen Schiller notamment, qui enseignait à l’étranger avant de devenir professeur à l’université de Grenoble. On ne peut pas importer artificiellement un modèle, il faut trouver notre propre formule. Il faut demander en priorité une reconnaissance fondée sur des moyens. Si les modèles à l’étranger fonctionnent de façon beaucoup plus fréquente, c’est parce qu’ils ont les moyens financiers et logistiques d’assumer la partie création et aussi parce que souvent la formation même des artistes se déroule dans le cadre de l’université.

En outre, il faut se poser la question de la finalité de tout ça : la recherche en création, pour quoi faire ? Car il y a des motivations différentes. Il y a des artistes qui viennent pour trouver un cadre de réflexion et un accompagnement dans celui-ci. Il y a des artistes qui en ont simplement besoin pour être reconnus, sur la base du LMD, au plan international. Ou pour obtenir plus facilement un poste d’enseignement en école d’art. Et puis il y a des étudiants qui sont en même temps artistes et qui veulent que soit sanctionnée leur double appartenance de façon à pouvoir mener une carrière à l’université tout en restant des artistes.

Aujourd’hui, compte tenu des débouchés, il s’agit de bien réfléchir pour se lancer dans un doctorat dans nos domaines. Il faut vraiment bien savoir dans quelles conditions et pour quelles finalités on veut faire cela. L’université offre un cadre d’accompagnement (direction de thèse, séminaire, formations, outils) ainsi que la garantie d’un niveau et d’une rigueur scientifiques en ce qui concerne la recherche, mais il y a aussi beaucoup d’artistes qui n’ont besoin de personne pour penser. Il faut donc à mon sens qu’il y ait une vraie nécessité, une profonde motivation, pour entamer la démarche d’un doctorat en recherche-création.

 

Notes

[1] Pour en savoir plus sur ces contrats, voir le site du ministère.

[2] Pour en savoir plus sur Matthieu Roy, voir le site de la Compagnie du Veilleur.

 

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