CLIMATE LENS EST UN RÉSEAU DE CRÉATEURS DE THÉÂTRE ET D’ACTEURS DU MONDE DE LA CULTURE QUI S’EFFORCENT DE METTRE EN PLACE UNE APPROCHE IMAGINATIVE ET ÉTENDUE DES PHÉNOMÈNES DE CHAOS CLIMATIQUE, ET QUI SONT À LA RECHERCHE DE NOUVELLES PERSPECTIVES QUI INCLUENT ET DÉPASSENT LES QUESTIONS POLITIQUES, AINSI QUE L’EXPRESSION DE L’ENGAGEMENT, DE LA PEUR, DE LA COLÈRE ET DU DÉSESPOIR.
Au lieu de nous concentrer sur le problème du changement climatique, nous expérimentons une pratique du théâtre qui propose de déplacer les habitudes de l’esprit et les sentiments qui sous-tendent la crise actuelle et son histoire. La première cible de notre critique n’est donc pas le changement climatique, mais plutôt l’anthropocentrisme, la vision du monde qui place l’être humain et ses intérêts au centre de toute réalité, et qui fonde un mode de pensée hiérarchique qui est également à l’origine du sexisme, du racisme et de l’injustice.
Tirant les leçons des mouvements progressistes du passé, nous reconnaissons l’importance d’élaborer de nouveaux modes d’analyse et de confrontation des problèmes. De même que le féminisme, par exemple, a utilisé le genre comme une lentille pour révéler et résister au patriarcat, la source sous-jacente du sexisme, CLIMATE LENS propose le climat comme lentille à travers laquelle révéler et résister à l’influence sociopolitique de notre époque.
Plus précisément, CLIMATE LENS explore des manières de s’associer par le théâtre à des partenaires plus qu’humains : le monde des paysages, des océans, des plantes, des autres animaux, et des forces naturelles comme le climat. Grâce à ces associations que nous poursuivons à la fois par l’imagination et par l’activisme, nous cherchons à exposer, à perturber et à remplacer la myopie et l’aliénation qui limitent actuellement l’accès à l’information et déforment mortellement la relation entre nous, les humains, et les innombrables formes et forces de la vie avec lesquelles nous partageons la terre.
Règles du jeu
1. Pratiquez le littéralisme. Mettez fin à la tradition qui consiste à tout transformer en un symbole de la vie humaine.
2. Occupez la science. Aimez les faits. Enrichissez le théâtre de la nomenclature des sciences exactes et naturelles.
3. Oui à l’immensité, oui aussi à l’infinitésimal. Passez sans cesse d’une vision générale au monde à portée de main, aussi minuscule soit-il, de l’Histoire profonde à l’Ici et maintenant. Pratiquez le changement d’échelles.
4. Pratiquez la « Glocalité » : une concentration intense sur nos localités, mais avec des yeux globaux sur le monde entier, derrière la tête, à la recherche des interrelations et en envoyant des signaux aux autres, intensément et urgemment.
5. Desserrez vos épistémologies. Ne croyez pas tout ce que vous pensez.
6. Aplatissez vos ontologies. Tout le monde et tout ce qui existe est invité à entrer.
7. Dépliez vos géographies. Ce qui se passe ici ne reste pas ici. Le Lointain se replie sur le Juste ici. Jouez avec les endroits plissés.
8. Prenez tous les animaux au sérieux, et pas seulement les humains. Mais aussi les plantes, y compris les mauvaises herbes, les orties, la ciguë… Et les minéraux, les roches, les courants de toutes sortes, les nuages, les vents, et autres forces atmosphériques. Et les bactéries. Surtout les bactéries.
9. Décomposez l’humain. Qui mène l’économie du carbone ? Qui en profite ? Qui en souffre ?
10. Ne vous souciez pas de l’empathie. La sympathie est tout ce dont vous avez besoin. Ressentir pour les autres est aussi puissant – et moins anthropocentrique – que ressentir avec les autres.
11. Dé-sentimentalisez la « Nature. » Gardez le respect, oubliez le « Wouaou !!!! » Explorez de nouvelles voies affectives vers le non-humain, au-delà de la tristesse, de la culpabilité et de la peur. Invitez l’humour, la colère, la joie, l’ironie, le sarcasme…
12. Tenez-vous aux côtés de nos semblables comme dans un exercice de respiration, pour ouvrir l’espace de nos cellules à des épistémologies de la biosphère que notre corps ne possède pas actuellement. Rendez l’émerveillement physique.
13. Rassemblez, réunissez, rencontrez. Mais aussi : dispersez, diffusez, distribuez et répandez.
14. La biologie plutôt que la psychologie, la géologie plutôt que la sociologie, la vie des créatures plutôt que les styles de vie.
15. Imaginez des plans autant que des intrigues, racontez des temps autant que des histoires, écrivez des mondes autant que des pièces de théâtre.
16. Créez des théâtres de la vie des espèces ; remplissez la scène de la Terre.
Texte traduit par Frédérique Aït-Touati
Source : Climakaze Miami
Pour citer ce document
Una Chaudhuri et des membres du groupe CLIMATE LENS, « CLIMATE LENS. Manifeste », trad. Frédérique Aït-Touati, thaêtre [en ligne], Chantier #4 : Climats du théâtre au temps des catastrophes. Penser et décentrer l’anthropo-scène, mis en ligne le 10 juillet 2019.
URL : https://www.thaetre.com/2019/06/02/climate-lens/