Émilie Flacher
Qui es-tu ? (Quelle terrienne es-tu ?)
Je suis Émilie Flacher, metteuse en scène de la Compagnie Arnica, une compagnie de théâtre de marionnettes. Quelle terrienne je suis ? Une femme sapiens de la famille des hominidés née dans une société post-industrielle de la fin du XXe siècle.
D’où viens-tu ?
Je viens d’un village de l’Ain, dans le Bugey plus exactement.
Où vis-tu et comment vis-tu ?
Je vis dans un autre village de l’Ain, dans le Revermont cette fois, village de 120 habitants, à la fois reculé, et proche des axes de circulation me permettant de rejoindre la ville. J’ai un mode de vie rural puisque je vis à la campagne – je fais le jardin, j’ai des poules, mon amoureux est apiculteur… – tout en ayant des activités plutôt urbaines, comme le théâtre, et toutes formes de rencontres avec la chose artistique ou l’exercice de la pensée.
C’est pour cette raison que j’ai installé ma compagnie à Bourg-en-Bresse, lieu de fabrication de nos spectacles, ville la plus proche de chez moi, et aussi que j’aime inventer des projets artistiques sur les territoires ruraux ou périurbains.
Comment l’écologie est-elle présente dans ton travail ?
Je ne peux pas dire que « l’écologie » est présente en tant que telle au sein de mon travail artistique – pas de militantisme par exemple, en tout cas pour l’instant. Mais depuis deux ans, je me pose la question de représenter la nature et le rapport qu’on a avec elle, et aussi comment donner la parole aux autres êtres vivants, aux animaux par exemple.
J’ai d’abord eu le besoin de créer un spectacle qui plonge dans des sensations de petite enfance, puisque j’ai vécu dans la nature mes premières années de ma vie et que j’avais envie d’en faire quelque chose, comme une façon de me reconnecter avec cette partie-là de moi, très organique, constitutive de mon besoin de mettre en scène aussi. Et aussi j’avais besoin de questionner mon héritage, puisque mes parents faisaient partie de la génération des années 1970 qui ont fait le choix de quitter la ville pour vivre dans la nature, presque en autarcie, avec une conscience très aiguë à l’époque de ce qu’amorçaient les choix politiques qui étaient en train de se prendre, sur la consommation à outrance, sur le nucléaire…
Je suis maintenant dans une sorte de cycle animal, avec une pièce Buffles de Pau Miró qui met en scène une famille de buffles, et aussi un projet nommé Lapin-Cachalot où l’on s’amuse avec des auteurs invités à écrire des fables qui mettent en scène des animaux pour parler d’histoires d’aujourd’hui. Mettre en scène des animaux, c’est pour moi utiliser la marionnette comme une façon de faire vivre d’autres présences non humaines sur le plateau, et ça me passionne de chercher comment le faire.
Je sens que nous avons besoin d’histoires, d’un nouvel imaginaire pour penser notre place sur terre, parce que nous vivons un grand chamboulement, que nous sentons tous, avec la disparition d’un monde avec des animaux, des oiseaux, des insectes… un grand chamboulement qui démonte tout une pensée du progrès qui nous a été transmis, une pensée de l’Homme au-dessus de tout le reste. Pour la première fois, nous nous sentons dans la même barque que le reste de l’humanité, que les autres êtres vivants, et nous avons besoin d’histoires pour comprendre ce changement, nous l’approprier. Je sens que mon travail futur va aller dans ce sens, que je suis à la fois dans ce mouvement et observatrice de ce mouvement en cours.
L’écologie, ça t’inspire quoi ?
Ça m’inspire une urgence, comme un changement radical de système, sortir du capitalocène par exemple, et ça me fait peur : peur que nous n’arrivions pas à prendre en considération l’ampleur du problème (ce qui est le cas de nos dirigeants en ce moment), peur des catastrophes qui nous attendent…
Mais, au-delà de cette urgence écologique, ce en quoi je crois, c’est que cette situation dans laquelle nous sommes nous demande de nous transformer, de transformer notre façon de penser notre place sur terre, de vivre plus modestement, en remettant au centre l’essentiel, en prenant en considération les autres formes vivantes, les autres présences au monde. En fait ce mouvement-là me porte, me nourrit, me reconnecte… et me donne envie de créer.
Faire du théâtre écologique, est-ce faire du théâtre de manière écologique ?
Pour moi, ce serait faire du théâtre qui mette en scène les liens, les relations entre humains, entre humains et non humains, entre l’humain et son milieu. Donner à voir les relations, les liens ; en témoigner ; les mettre au centre et par là décentrer l’humain et sa volonté de tout maîtriser.
Le théâtre écologique serait celui qui porterait un regard sur les changements de relation en cours entre les différents composants qui font notre monde.
Une compagnie/un lieu, c’est un petit écosystème ?
Une compagnie est un petit écosystème ou nous décidons de la nature des interactions qui existent entre les différentes personnes qui la constituent et du type d’interactions qu’il existe avec le dehors, c’est-à-dire le milieu dans lequel la compagnie évolue. Ces interactions sont sans arrêt requestionnées, discutées, réinventées.
Mettre en scène, c’est observer et/ou organiser du vivant ?
Pour moi, mettre en scène naît de mon besoin / désir d’observer le vivant.
L’origine de ce désir, je le place dans ma toute petite enfance, assise dans l’herbe, observant la nature : les mouvements, les lumières, les êtres vivants qui bougent dans la lumière. Immergée dans le paysage et en dehors dans le même temps, un regard, un œil qui observe. Et l’idée de le garder, de le retranscrire, de re-composer dans l’espace nu du théâtre. Comme une façon de témoigner de ce que je vois et en même temps comme une façon d’être avec les autres, de faire avec les autres.
Est-ce que tu n’interagis qu’avec des humains ?
Oui, mais aussi avec beaucoup d’objets, de marionnettes, de matières…
Être artiste, est-ce faire partie du monde de la nature ou du monde de la culture ?
Je viens du monde de la nature, je suis entrée dans le monde de la culture, je crée des spectacles pour me reconnecter avec toutes sortes de natures.
Le créateur : un facilitateur d’autres mondes possibles ?
Le créateur comme proposant de nouvelles façons de porter un regard sur les autres, humains et non humains, comme celui qui cherche les langages pour dire des sensations communes, pour dire les transformations en cours. Celui cherche comment donner la parole par l’imaginaire, la fiction pour nous permettre d’entrer dans d’autres mondes.