Benoît Sicat
Qui es-tu ? (Quel terrien es-tu ?)
Un artiste citoyen qui tente de trouver une place juste dans une société de surconsommation et de gaspillage, de disparités grandissantes et d’aveuglement face aux enjeux climatiques. Je suis un terrien qui reste connecté au vivant ici et maintenant en essayant d’optimiser pour l’avenir.
D’où viens-tu ?
Je viens d’une petite ferme en Normandie où mes parents ont choisi une reconversion en biologie en 1979. J’avais alors 6 ans et ma première parcelle de jardin. J’ai ensuite étudié les arts plastiques et le cinéma tout en pratiquant le théâtre, la performance et le jardinage, la cueillette de champignons, la cuisine maison…
Où vis-tu et comment vis-tu ?
Je vis à Rennes dans une maison avec un petit jardin. Je participe aussi à un jardin partagé dans lequel je cultive un peu plus de légumes et de fruits, non par ambition d’autonomie, mais pour le plaisir des mains dans la terre, et la qualité des rencontres qu’un tel lieu suscite. Professionnellement, je suis plasticien, j’expose mon travail de temps en temps, je suis également comédien/metteur en scène. Ce sont principalement les arts de la scène qui me font vivre avec l’aide du statut d’intermittent. J’alterne temps de travail en solo et en collectif, construction scénographique en atelier, résidence d’artiste, moments de transmission, tournées en France et en Europe…
Comment l’écologie est-elle présente dans ton travail ?
L’écologie (au sens étymologique et politique) est présente dans ma vie depuis toujours, elle imprègne également mon travail. Mes recherches plastiques s’initient avec et dans le paysage. Ici, un terrier que je creuse dans un talus d’argile, là des diapositives que j’enterre, des peintures qui prennent la marque des intempéries ou encore des GARDENMOBILES qui sont de vieilles carcasses dans lesquelles j’incruste des plantes sauvages récoltées à proximité…
L’écologie, ça t’inspire quoi ?
Dans sa définition première, j’aime beaucoup l’idée de science du vivant. C’est une vision très large qui inclut les animaux, les plantes, mais qui peut aussi s’adresser à des paysages entiers qui font récit. Nous humains devons prendre conscience de cet environnement multiple et de nos interactions : autant dire qu’il reste du chemin à parcourir. Nous faisons le paysage. Nous sommes paysage. À nous de choisir à quoi celui-ci doit pouvoir ressembler.
Faire du théâtre écologique, est-ce faire du théâtre de manière écologique ?
C’est avant tout faire œuvre avec ce et ceux qui nous entourent, les éléments au sens le plus large. Ce n’est pas l’artiste enfermé dans sa bulle, mais celui qui va vers l’autre, qui cherche à s’extraire de sa propre condition ou de ses convictions. Un chercheur qui ne rentre pas forcément dans les cases. Cela suppose une perspective philosophique cette fois et ça peut entrer en contradiction avec une vision strictement politique ou économique. Par exemple, je pars en tournée avec un camion diesel, parfois en avion et je suis obligé d’accepter ce paradoxe.
Une compagnie/un lieu, c’est un petit écosystème ?
C’est un écosystème extrêmement fragile face auquel nous devons rester vigilants constamment. Il nous faut le préserver en le nourrissant et en le faisant évoluer d’un point de vue qualitatif et pas nécessairement quantitatif. Cela doit rester vivant et nous avec.
Mettre en scène, c’est observer et/ou organiser du vivant ?
Mes mises en scène sont plutôt des mises en jeu, un théâtre de situation et d’action où l’improvisation prend une place importante. Beaucoup de mes spectacles sont en immersion et interactifs, les gens sont là sur le plateau avec nous ou dans le paysage quand il s’agit d’extérieurs. L’écriture a lieu en direct, les choses s’agencent dans la rencontre avec l’autre et dans l’instant présent. Il y a donc bien une organisation du vivant, mais elle se fait de manière horizontale et immédiate. Et pour que cela fonctionne, il y a obligatoirement une observation aiguë de qui est là et comment elle/il se comporte. Cela exige une présence absolue, beaucoup d’écoute et une très grande confiance, particulièrement avec de très jeunes enfants.
Est-ce que tu n’interagis qu’avec des humains ?
L’interaction se fait d’abord avec des matériaux, des matières, c’est mon côté plasticien qui donne la direction. Dans mon premier spectacle pour la petite enfance (Le Jardin du possible), je travaille avec des pierres, des graviers, des bois flottés : uniquement des éléments naturels et bruts qui sont là depuis des millions d’années. Après plus de mille représentations, ces matériaux me parlent encore, ils parlent sans aucun doute aux enfants. Il y a plus qu’une interaction, je parlerais même de communication, d’une forme de langage primitif ou archaïque extrêmement simple et cependant très riche.
Être artiste, est-ce faire partie du monde de la nature ou du monde de la culture ?
Il y a longtemps que je me suis affranchi de cette distinction très ethnocentrée. Je pense que l’un ne va pas sans l’autre et en partie mes spectacles racontent ça. Dans Le Son de la sève, nous improvisons avec des arbres multiséculaires creux et transformés en instrument de musique. Ces arbres proviennent de haies bocagères, ce sont des émondes/ des têtards : ils sont le fruit d’un être vivant qui provient de la nature et de tailles effectuées par des paysans pour des raisons culturelles, économiques, voire juridiques (dans la plupart des baux agricoles, le propriétaire du champ est aussi celui de l’arbre, le locataire n’a pas le droit de le couper à la base, mais il a obligation d’entretenir la haie, donc de tailler l’arbre), ces arbres sont la conjugaison de multiples vivants qui s’entrecroisent.
Le créateur : un facilitateur d’autres mondes possibles ?
Un artiste crée un monde pour lui-même, parce qu’il en ressent la nécessité. À partir du moment où il partage son travail (livre, concert, spectacle, exposition, etc.), il ouvre des possibles. Est-ce que cela facilite les utopies, ou bien est-ce que nous n’apportons que de nouvelles questions sans vraiment y répondre ? Nous participons à une société, notre responsabilité est à la fois celle du citoyen et celle du passeur. Nous ne donnons peut-être pas de réponse, nous communiquons avec nos propres outils, nous créons un dialogue. L’artiste apporte du commun dans un monde trop souvent individualiste, de l’imagination dans une société étriquée.