Le théâtre organique de Sony Labou Tansi

 

 

« Oui Merline, nous devons créer la sortie, la sortie du monde devient indispensable, l’homme n’est plus humain merde, la déshumanisation progressive, vorace, déchainée, l’affolement du genre, la chute des sexes, il faut essayer de faire flotter ses bourses, Merline, j’ai peur, l’art de bouffer les autres arrive. »

Sony Labou Tansi, Le mort te dit adieu toi qui restes vivant[1]

 

Écrire pour faire signe

 

Sony Labou Tansi a passé sa vie à écrire pour faire signe à l’autre[2]. Comme il écrivait tout le temps, il n’en a pas fini de nous faire signe[3]. Son théâtre est le lieu de ce contact, de cette rencontre où faire signe, où répondre de son ambition de devenir un « metteur en signe du monde »[4]. Dans la mise en scène d’Antoine m’a vendu son destin / Sony chez les chiens de Dieudonné Niangouna en 2017[5], son écriture manuscrite, reproduite pour la circonstance sur de grandes feuilles de papier, enveloppe l’élément principal et essentiel de la scénographie, une sorte de fétiche posé au centre du plateau. Il tourne en cercles et devient le lieu successif des différentes métamorphoses d’Antoine, le personnage de la pièce, et du comédien Dieudonné Niangouna lui-même. La comédienne et complice de Dieudonné Niangouna, Diarétou Keita, viendra donner au public ces feuillets, les lettres à Dieu que Sony Labou Tansi écrivait sur son lit d’hôpital en 1995, lors de sa dernière hospitalisation. Pour faire signe à tous, y compris à Dieu, car « le premier écrivain, c’est Dieu »[6] et « au fond la chose à dire est simple et connue : nous disons Dieu. Seule est compliquée la manière de l’entendre »[7]. Faire signe pour prendre conscience « de participer à l’équilibre de l’univers », pour « prêter ses artères au verbe », sa « bouche à tous ceux qui peuvent perdre sa vie »[8].

Celui qui a commencé à écrire à treize ans, avec un « débit à l’égal du fleuve »[9], selon la formule consacrée de son aîné dans la phratrie congolaise et de son père en littérature, Tchicaya U Tam’si, celui qui a publié six romans, une vingtaine de pièces de théâtre et, à titre posthume, des milliers de pages de poèmes, n’a pas fini d’influencer[10]. Car avec lui, la poésie transpire et sur le plateau, incarnée dans des corps, elle s’écoute et se voit :

Je n’écris pas que des pièces de théâtre, j’écris des romans, j’ai commencé beaucoup par la poésie, j’ai pas publié la poésie car un moment donné, je me suis rendu compte qu’être poète, cela existe, on l’est à l’intérieur, maintenant, comme je ne voulais pas être en morceau à l’extérieur de moi, je l’ai gardé à l’intérieur, elle transpire[11].

De l’année 2015, celle du vingtième anniversaire de la mort de Sony Labou Tansi, année particulièrement riche en publications, représentations et expositions, en France et au Congo, à aujourd’hui, où il continue de se faire entendre sur les plateaux[12], se lit la même nécessité qui anime les gens de théâtre qui lui font la « passe »  de continuer à inventer avec cette œuvre contagieuse[13].

Refuser de se définir

Je suis écrivain et nègre. Cela s’impose à moi comme un état civil, comme une identité. Mais je ne serai jamais ce qu’on peut appeler le nègre de quelqu’un. Je suis le nègre qui va loin sur la route des hommes. L’homme qui malgré tout, dit tous les hommes[14].

Sony Labou Tansi n’a jamais été un homme à enfermer, ni dans les francophonies, politiques ou artistiques, ni dans la négritude[15], ni dans aucune autre sphère. Sony Labou Tansi s’invente lui-même et se dérobe à tous les filets et à tous les ustensiles des cannibalo-africanolo-maniacologues de service ou autres « ustensiles de cuisine »[16], comme il aimait appeler les intellectuels rompus à l’art cartésien de tout découper en quatre ou dix cheveux. Lui qui se plaisait à revendiquer pour unique carte de visite : « Métier : homme. Fonction : révolté »[17], ou qui disait encore : « Je ne suis pas à développer : je suis à prendre ou à laisser »[18], a poursuivi une œuvre polymorphe et en devenir parce qu’il a inventé sa propre place. Il dribble en fonction de l’étiquette que l’autre lui colle. Au « nègre » émotif, à l’Africain primitif, il répond par l’universel et se dit, tout simplement, homme parmi les hommes. D’autres fois, il répond au titre de Congolais ou de Kongo ou trouve une définition transversale entre l’Afrique et l’Amérique latine, selon la tropicalité propre avec laquelle il redessine les géographies et les fraternités. Sony Labou Tansi est fort dans la passe d’identités, car l’urgence est justement de résister à la « gueule »[19] et de créer un théâtre qui soit « lieu de casse de la gueule identitaire »[20]. Quand Guy Lenoir, un des metteurs en scène français avec qui il a eu un long compagnonnage, lui demande, dans une archive personnelle, ce qui l’a conduit de la littérature à la scène, il répond :

Bon voilà, je crois que la question qu’on se pose là est une question centrale pour moi. Je veux dire. J’ai l’impression qu’il s’agit de se définir. C’est la question. Car si je pouvais me définir, je crois que j’arrêterai tout ce que je fais et que je me tirerai une balle dans la tête pour arrêter les choses aussi et ça finirait par là. Mais si je vis, si je respire, si j’ai des contacts avec les autres, c’est parce que je ne sais pas qui je suis[21].

Sony Labou Tansi est né en écriture pour se concevoir aux dimensions de l’univers. Entre Sony Labou Tansi écrivain – poète, romancier, dramaturge –, son acte sur le plateau, sa manière de penser sa troupe, le Rocado Zulu Théâtre[22], aucune contradiction, mais le prolongement d’une même libération et fabrication de soi, qui s’inscrit dans le refus d’une quelconque généalogie littéraire qui assujettirait sa mise au monde[23].

Dans La Chair et l’Idée, nous avions publié un texte de la poète et écrivaine Annie Le Brun dans lequel elle rappelle combien la poésie ne peut être dissociée de la magie, par son pouvoir de lier les idées, les hommes et les choses et par ses capacités, dangereuses et risquées, de « réinventer la nature en nous »[24]. Sur Sony Labou Tansi qu’elle a rencontré à Brazzaville, elle dit encore :

En matière de révolte, aucun de nous n’a besoin d’ancêtre. C’est cela, Sony. Je peux trouver des choses qui m’ont bouleversée chez Sade, Jarry, Roussel… Mais chez Sony, il n’y a pas de filiation car il réinvente complètement le monde à partir de cette réalité qui le révolte[25].

 

Sony Labou Tansi et sa troupe, le Rocado Zulu Théâtre, autour de 1981-82, sur la scène du CFRAD, Brazzaville, pendant la création de Béatrice du Congo
© Alphonse Nzanga-Konga

Sony Labou Tansi et sa troupe, le Rocado Zulu Théâtre, autour de 1981-82, sur la scène du CFRAD, Brazzaville pendant la création de la création de Béatrice du Congo
© Alphonse Nzanga-Konga

 

Un théâtre sorcier

 

Le théâtre organique de Sony Labou Tansi vient de ce qu’il nomme la dimension magique du théâtre. Il est le lieu où s’établit un lien physique, érotique, entre les mots et les corps, un lien qui conduit à « la cohabitation lumineuse entre la poétique du muscle et celle de l’idée »[26]. Mettre en scène Sony Labou Tansi aujourd’hui, c’est comprendre que son théâtre n’est pas plus du théâtre que ses romans ne sont des romans. Ou encore ne pas limiter son théâtre aux seules pièces qu’il a écrites. De même que chaque poème semble être un morceau de sa propre chair, chaque pièce est un morceau de chair et d’idée. Tout est organiquement lié et tout est musique. À condition que l’on n’oublie pas, comme le rappelait Toups Bebey[27], la portée cosmique de la musique entendue alors comme danse, texte, chant, poème enfin. Il n’y a pas de mot dans les langues africaines pour dire « musique ». La musique est partout, c’est une façon de respirer. Donc de s’entêter pour celui qui a écrit L’Acte de respirer[28] :

Écrire est un acte aussi poétique que respirer, faire l’amour, écouter de la musique dans la nuit profonde. Écrire, c’est choisir ses amis et ses ennemis parmi les mots. Mais pour moi, cet acte est magique. Il me permet de confirmer et d’infirmer les choses. À mes yeux. Imaginer quelqu’un qui prêterait ses yeux aux choses et aux hommes qui ne les ont pas ou bien qui les ont perdus. Je suis peut-être cet homme-là[29].

La musique a à voir avec l’organisation du temps dans un spectacle, nous enseigne Meyerhold, lequel disait aussi travailler dix fois plus facilement avec un acteur qui aime la musique[30]. Ce n’est certainement pas un hasard si l’actualité théâtrale de Sony Labou Tansi en France depuis 2015 est aussi musicale. Outre un grand concert organisé au New-Morning[31], c’est sur les scènes de théâtre que les musiciens œuvrent côte à côte avec les comédiens ou même, comme dans le cas de Marcus Borja et son Cabaret intitulé Le Chant des signes[32], c’est par la musique que la dramaturgie se construit. Marcus Borja, musicien et comédien, ancien doctorant SACRe au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris (CNSAD), raconte combien les mots de Sony Labou Tansi lui tombaient des mains lors des premières lectures. Combien ces poèmes, comme ceux du recueil L’Acte de Respirer, déclamés comme des vers, avec des pauses entre chaque mot, comme pour s’attacher au sens, lui semblaient de peu d’intérêt. Il les découvre au CNSAD, en 2015, durant le stage donné par Jean-Damien Barbin et Dieudonné Niangouna. Ce n’est que le jour où ce dernier lui demande d’improviser au piano qu’il accède, par le son, à cette poésie. Et qu’elle lui donne du fil à retordre. Car c’est en en faisant une parole vivante, rythmique, vitale, une écriture percussive et non cérébrale que cette poésie lui parvient et c’est ainsi qu’il la transmet dans son spectacle. Un chaos de sons avant toute chose, d’où la parole peut être proférée et le sens advenir. C’est avec la musique, piano, accordéon et voix, qu’il parvient à donner naissance à l’ironie, la mélancolie, le sentiment amoureux, le combat politique. Qu’il trouve à bâtir des espaces sensibles, des univers et paysages sonores qui réinventent l’écoute des textes de Sony Labou Tansi, dans leurs dimensions vibratoires et plastiques, car ses mots-manuscrits sont aussi parfois projetés sur le corps du comédien. Ces mots, dont Sony Labou Tansi dit qu’ils « [le] charment / [lui] font signe »[33], rejaillissent alors pleinement sur le spectateur. Ces mots qui charment, c’est aussi l’art d’ajouter « une magie au récit »[34], de croire en la fable pour engager un combat dans le monde. Le théâtre, il le conçoit comme une lutte pour la parole, pour l’espace d’action, dans laquelle réinventer une langue pour recréer les possibles. Et Dieudonné Niangouna de peser ses mots quand il dit à propos de Sony Labou Tansi : « Je l’ai d’abord adopté comme pair-père, je l’ai appris par cœur, je l’ai mis dans la chair. »[35] Cette sorcellerie, Dieudonné Niangouna, qui l’a « bue » très jeune, l’appelle « le processus de devenir »[36] en se référant au mot préféré de Sony Labou Tansi :

Il y a un seul mot qui me met en position de force, c’est DEVENIR. J’ai plus que tous les autres le temps, la chance et la force de devenir[37].

Dissipons toutefois dès à présent tout procès en sorcellerie. Car la sorcellerie est une affaire sérieuse ! Aussi longtemps que l’on en reste spectateur, que l’on ne s’engage pas dans la partie, on ne peut guère espérer pénétrer le secret de la parole sorcellaire, celle qui existe pour accomplir. Souvenons-nous de l’avertissement de l’anthropologue Jane Favret Saada dans son enquête sur la magie dans le bocage :

Pour avoir accès à ce discours, il faut se mettre en position de le soutenir soi-même… Si l’on veut entendre un devin, il n’y a d’autre solution que de devenir son client[38].

Il faut avoir été entraîné dans le courant de la parole efficiente, avoir été saisi par une parole qui n’est pas soi, mais parole de l’autre, parole de celui qui est déjà pris, parole faite corps. C’est ainsi que j’ai été prise, à mon corps défendant peut-être, mais impérieusement, par cette parole du dedans de Sony Labou Tansi. Et il m’a été maintes fois donné de constater combien cette œuvre se transmet de manière contagieuse, de proche en proche. Pour moi, cela s’est d’abord passé au théâtre en 2011-2013 alors que j’étais accueillie comme auditrice libre dans un cours de Jean-Damien Barbin, au CNSAD. C’est Dieudonné Niangouna qui m’a véritablement initiée au monde de Sony Labou Tansi. Au cours d’un atelier sur sa poésie au CNSAD en 2013[39], puis à Brazzaville, lors de son festival, le Mantsina-sur-scène[40], enfin, dans ses interprétations ou mises en scène lorsqu’il s’empare de ce théâtre « guerrier »  ou qu’il « danse » la hernie[41] dans la mise en scène de Machin la Hernie de Jean-Paul Delore. La nature du legs de Sony Labou Tansi n’est pas réductible à des aspects platement formels ou théoriques[42]. Il réside dans la possibilité de s’emparer de sa proposition de se mettre au monde, dans un rapport direct avec Artaud qu’il énonçait ainsi :

Nous avons le devoir d’ajouter du monde au monde, par notre pratique de la sensibilité (l’intelligence est une forme de sensibilité), par notre exercice de l’imagination, car en fait, la honte n’est pas de rêver, mais de manquer d’imagination. Vous me permettez de citer Artaud, il dit : « nous ne sommes pas encore au monde, les choses ne sont pas encore faites, la raison de vivre n’est pas encore trouvée… »[43]

Libération, fabrication de soi, mise au monde, tels sont les chemins ouverts par son théâtre et son œuvre. Écoutons Mallot, dans Je soussigné cardiaque :

Il faut pourtant que j’arrive à me mettre au monde. […] Faut vraiment que je me rate – que je crève vif. […] Il faut que j’arrive à accoucher de moi pour les vaincre[44].

Vivre, quitter la mort de la vie, accoucher de soi et du monde pour « disputer l’univers au néant »[45]. C’est ce legs que porte avec incandescence Dieudonné Niangouna, lui qui a commencé chacune des dix éditions du festival Mantsina-sur-scène par la même phrase, la première tirade d’Antoine m’a vendu son destin : « Sommes-nous sortis du monde, Riforoni ? »[46]

Insurrection du verbe aimer

Julie Peghini


 

Insurrection du verbe aimer (Special Touch Studios & Collectif Louise, 80 min., 2019) est un travail extra-universitaire, qui est devenu une nécessité personnelle après mon expérience au CNSAD. Je me suis investie dans un atelier documentaire de neuf mois à la Fémis en 2014 et j’ai commencé à filmer à Brazzaville cette même année. Au point de départ de ma quête de ce qui reste aujourd’hui de la parole poétique de Sony Labou Tansi, se déploient les trajectoires de trois hommes de théâtre, Dieudonné Niangouna, Étienne Minoungou et Jean-Paul Delore. Avec eux, se dessinent trois visages contemporains et rêvés de Sony Labou Tansi. Il y a celui qu’incarne Dieudonné Niangouna, son fils spirituel, qui vit désormais cette relation depuis la France, car il est menacé dans son pays, le Congo, depuis octobre 2015 du fait de son opposition au changement de la Constitution par Denis Sassou Nguesso, dictateur en place. Il y a celui que porte Étienne Minoungou, qui trouve dans les écrits de Sony le terreau de sa lutte et de ses engagements par l’art et le théâtre depuis le Burkina Faso, où il a lutté dans le cadre du mouvement du Balai citoyen. Enfin, il y a celui que figure Jean-Paul Delore, lui aussi dépositaire de la parole de Sony, par le choix de ses rencontres et collaborations et par ses multiples allers-retours artistiques entre l’Europe et l’Afrique. Leur rôle de passeurs pour différents publics et générations m’a particulièrement inspirée, et j’ai pu en faire l’observation très concrète en fréquentant le festival Mantsina-sur-scène (Dieudonné Niangouna est le directeur artistique de ce festival créé en 2003 qui se tient à Brazzaville chaque année en décembre et qui a consacré l’édition entière de 2015 à Sony Labou Tansi) et le festival des Récréâtrales (fondé par Étienne Minoungou en 2002, ce festival se déroule à Ouagadougou tous les deux ans, de février à novembre, et associe résidences d’écriture et de création et représentations). Un quatrième passeur s’est imposé au fur et à mesure du tournage, Zora Snake, performeur camerounais, qui fait l’effet d’avoir « incorporé » Sony dans ses performances et dont la poésie m’a permis de mieux saisir certains mots de Sony, par exemple lorsqu’il évoque « des bulles de silence qui parlent » ou encore « des cadavres qui aspirent à la résurrection ». J’ai tissé mon film avec des textes de Sony (certains de ses poèmes, la pièce montée par Dieudonné Niangouna à la Colline, Antoine m’a vendu son destin / Sony chez les chiens, des textes à portée plus philosophique extraits du recueil Encre, sueur, salive et sang et des inédits issus de Machin la Hernie et Le mort te dit adieu toi qui restes vivant), tous pris « à bras le corps » par les quatre figures centrales du film, mais aussi beaucoup d’autres artistes, dans les rues ou sur les plateaux, entre Brazzaville, Ouagadougou et Paris.

 

 

Un théâtre de l’humain

 

Le livre qui a fait connaître Sony Labou Tansi est son premier roman publié, La Vie et demie. Ill commence par cet avertissement :

La Vie et demie, ça s’appelle écrire par étourderie. Oui. Moi qui vous parle de l’absurdité de l’absurde, moi qui inaugure l’absurdité du désespoir – d’où voulez-vous que je vous parle sinon du dehors ? À une époque où l’homme est plus que jamais résolu à tuer la vie, comment voulez-vous que je parle sinon en chair-mots-de-passe[47] ?

« Moi qui inaugure l’absurdité du désespoir… » : bien des rapprochements seraient possibles entre le théâtre de Sony Labou Tansi, son humour, sa cruauté, et le théâtre de l’absurde, dont Jarry a été le grand précurseur. Solitude, incommunicabilité, impuissance de l’individu assujetti au langage qui découd la vie au lieu de la nommer… Le théâtre entend ici dévoiler la perte de contact entre les hommes[48]. Certes, l’absurdité dont il est ici question est aussi celle de la société congolaise, livrée à un régime dictatorial, militaro-policier, aux guerres civiles et à la folie d’une tyrannie de bientôt quarante ans. Mais il n’est pas besoin de connaître ce contexte pour que simulacres, excès, chaos, vide, néant et mort viennent nous saisir sur le vif. Les obsessions vitales qui nourrissent ce théâtre sont bien les nôtres, à commencer par le cosmocide, moteur apocalyptique proprement sonyen, présent dès ses premières pièces, La Gueule de rechange puis Conscience du tracteur. Assez proches de la science-fiction, ces pièces portent sur l’anéantissement qui guette l’humanité[49]. Face à un monde soumis au cosmocide, au cannibalisme[50] et à toutes sortes de « –ismes » mortifères, Sony Labou Tansi fait le choix d’un théâtre de l’humain. Un théâtre conçu d’abord comme « d’utilité publique »[51] :

Il nous faut rappeler de toute urgence que le théâtre, c’est le lieu naturel de la communication vitale par la sueur, la respiration, la couleur des voix, l’explosion des cœurs, le choc des peurs, l’anecdote, le on-dit, l’univers même du souffle, la palabre des non-dits, bref la fête massacre des commencements qui naissent et meurent sous les yeux grands ouverts de l’exigence que beaucoup ont la paresse de nommer beauté[52].

Mais si l’on peut dire que le théâtre de Sony Labou Tansi est un théâtre de l’absurde, c’est à condition de ne pas oublier qu’il est aussi pour lui une pratique rituelle de « sauvetage »[53]. Il puisait dans les rituels kongo la matière de son travail avec les acteurs du Rocado Zulu Théâtre, en particulier dans cette forme théâtralisée des rituels thérapeutiques, appelée « kinguizila », selon laquelle la guérison du corps social passe par une folie collective vécue par tous et non plus portée par un seul. Un théâtre de la guérison avec, à l’horizon de cet ancrage anthropologique, une dimension politique concrète, philosophique et humaine, vécue comme résistance aux dérives idéologiques et à la misère matérielle du continent africain, à son silence de cinq siècles enfin. C’est à cette dimension de la pensée de Sony Labou Tansi qu’Étienne Minoungou est allé s’abreuver pour le spectacle Si nous voulons vivre, adaptation de différentes lettres, extraits d’entretiens ou discours publiés dans Encre, Sueur, salive et sang devenue oratorio porté par un comédien et deux musiciens. Ce théâtre, ce grand rire de sauvetage, Étienne Minoungou l’a joué plusieurs fois dans la rue puis dans une cour, à Brazzaville au Mantsina-sur-scène puis à Ouagadougou aux Récréâtrales avant de l’emmener sur les scènes en Belgique et en France. En décembre 2015, à Brazzaville, Dieudonné Niangouna organise la douzième édition du Mantsina-sur-scène, entièrement consacrée à Sony. Il sera le grand absent de la fête puisqu’interdit de rentrer sur le territoire. Mais c’est bien lui qui l’orchestre à distance, avec, sur place, son adjointe l’écrivaine et dramaturge Sylvie Dyclo et toute une bande de « mantsinistes ». C’est sur la route, dans les cours chez l’habitant, dans la rue, que les pièces de Sony Labou Tansi ont pu être jouées et ses textes entendus, notamment ses poèmes et Si nous voulons vivre. Dès lors que la rue est un lieu de spectacles, il reste un espoir pour le théâtre d’exister et d’accomplir son œuvre. La lutte pour la parole, pour un espace d’action, se propage dans la rue de manière contagieuse et spectaculaire[54] au sens où l’entendait Sony : le spectacle d’une parole prise dans les corps, organique. Entre « cette grande boxe de respirer » comme métaphore possible d’une traversée du théâtre de Sony Labou Tansi et l’image de Dieudonné Niangouna trouvée sur le ring, celle du théâtre en Afrique comme lieu de résistance, où faire du théâtre équivaut à « boxer la situation », il y a là un même combat. Un même vertige, une même danse, pour convoquer le courage d’être humain, et debout, et vivant, « jusqu’à ce qu’on crève »[55].

 

Un théâtre monstre

 

« La parole est un monstre, ah nous sommes encerclés »[56] : lâcher les mots de Sony Labou Tansi sur un plateau ou dans le monde est un pari risqué. Un peu comme au Moyen-Âge quand on laissait les fous errer de ville en ville : leurs paroles avaient force de révélation et devaient être tues. C’est de cette conviction que sont animés ceux qui s’y risquent, et je pense ici particulièrement à Dieudonné Niangouna. C’est ce qui irradie de la pièce monstre qu’il a jouée en 2017 au Théâtre de la Colline, composée à la fois de son propre texte et de celui de Sony, Antoine m’a vendu son destin et Sony chez les chiens. Il a avalé et recraché les deux (pré)textes pour poursuivre une même bataille, deux corps pour un même destin. Une sorte de monstre à deux têtes qui n’est pas sans évoquer les monstres présents dans les légendes cosmogoniques kongo[57]. Dieudonné dit lui-même de Sony Labou Tansi qu’il a la « beauté du monstre » :

Ce n’est pas le monstre beau, ce n’est pas le monstre joli, c’est la beauté du monstre. Sony c’est une espèce de chose toute seule comme ça, entière. C’est ça un monstre. C’est pas beau, c’est pas laid, ça ne fait pas partie de nos vocabulaires, qui jugent, regardent, équilibrent. Mais ça le place en opération de devenir[58].

Le théâtre de Sony Labou Tansi est un théâtre monstre, porté par des personnages monstres. Dès les premières pièces, écrites au tournant des années 1970, certains personnages s’imposent comme centres de gravité des intrigues : Monsieur Tout-Court(1969), Le Bombardé (1971), Le Ventre (1972), etc. Ces rebelles sans mots d’ordre aimantent l’intrigue par leur corps. Leurs corps, leurs mondes sont grands, immenses même et menacés de destruction. Le texte manifeste, qui nous plonge tout droit au cœur du « monstre en moi », est une préface à une pièce de théâtre, La Parenthèse de sang :

Demain ! Est-il encore prudent de parler de demain ? Ou seulement est-il encore possible ?
Demain est mort, aujourd’hui est son cercueil. Une prophétie ? Je n’en sais rien. Sachez par contre que ça fait des bruits de fou en moi. Ces bruits-là me demandent de parler. Il y aura effectivement « la mort de la vie » mais je ne parle pas de « la mort de la vie ». Un vivant n’a pas le droit d’en parler : il prendrait pouvoir de mort, il prendrait état civil de mort. En art, le monstre est un dieu, le monstre est un prodige, donc une beauté. Et ça ne sera jamais tout à fait moi qui parle, mais le monstre en moi. Ça ne sera d’ailleurs jamais tout à fait vous en face, mais la part de monstre en vous endormie, et que je réveille intentionnellement, dans une véritable affaire d’identité. C’est-à-dire que vous n’y verrez clair que si vous avez le pied profondément humain. Je répugne. C’est mon métier. C’est moche mais ça me suffit. Pas d’hommes pratiquement « formalitaires ». Pas d’hommes formalistes. Et puis, il y a le toupet de parler de ces taches que la vie seulement fait. Ici commence la parenthèse, en ce monde de fin, en ce monde en crue de monde pourtant, où des peuples entiers sont gardés dans la parenthèse. Je vous laisse une chance : vous déciderez s’il faut l’ouvrir ou bien s’il faut la fermer. La parenthèse bien entendu, pas la gueule[59].

Mais ce n’est pas que le théâtre, c’est toute l’œuvre de Sony qui est portée par ce vertige de la disproportion. « Il était cette fois monstre… »[60] Au sein du poème aussi, il s’agit bien de « désorganiser la genèse »[61], de créer un acte de respirer, et d’imposer la respiration du poème pour faire taire les monstres : « Il n’y a plus / ni péché / ni monstre / ni refus »[62].

Avec Machin la Hernie, roman et monologue fleuves, ce vertige de la disproportion est particulièrement saisissant, car sexe, folie et démesure nous entraînent dans les abymes de l’innommable, là où « la parole est un monstre » et la palilalie, un symptôme de cette parole qui n’arrive pas à nommer. Dans sa mise en scène au théâtre par Jean-Paul Delore, Dieudonné Niangouna, comédien initié depuis longtemps au théâtre de Sony Labou Tansi[63], convoque un haut lieu de voltige. L’acteur fait corps avec le texte, un corps de sueur, un corps machine de combat, un corps engin, un corps qui crée des suspensions, qui ponctue la conscience du temps, qui crée la tension et habite les silences, un corps qui danse enfin. C’est par ce corps immobile, ce corps qui se déplace peu mais n’arrête jamais de danser que le spectateur est relié charnellement à cette transe du mal de Martillimi Lopez et participe de cette parole monstre sans tête ni queue ou début ou fin.

À propos de sa mise en scène et de ce texte fleuve qu’il rêvait au départ de donner à entendre intégralement une soirée et nuit durant, Jean-Paul Delore trouve cette formule éclairante : « C’est l’histoire d’une littérature qui appelle le corps et qui crie le corps et d’un corps qui crie la littérature. »[64] Cette littérature vient du ventre, au sens où l’anthropologue Patrice Yengo analyse le ventre comme une institution totale dans Les Mutations sorcières dans le Bassin du Congo et où au sens où Sony Labou Tansi l’éclaire à son tour  :

Mon écriture est une manière de se tenir le ventre avant la tête. Comprenez, merde, comprenez. Même si nous avons pris la honteuse manie de mettre la tête au-dessus du ventre, simplement parce que la tête est placée sur le ventre. Vous voyez la connerie. Quand même l’on sait que dans la pratique de l’existence c’est les couilles et le ventre qui bougent avant tout le reste du corps[65].

Dans cette mise en scène de Machin la Hernie, sur une scène dépouillée de tout sauf d’un écran, où toutes les matières (visuelles, sonores) sont ramenées à des formes brutes, c’est le corps de l’acteur, y compris dans son immobilité relative, qui devient donc la scène à lui seul. Une scène qui traduit et exige une immense mobilité mentale de la part de l’acteur. Mais une scène qui est aussi la transcription physique de la mobilité qu’il y a dans la narration elle-même, dans le passage du « il » au « je » puis au « tu » puis au « nous », puisque cette hernie contient la nation toute entière. Véritable voyage immobile à l’intérieur de cette hernie qui encercle tout, l’acte de jouer posé par Dieudonné Niangouna devient une mise en abyme de notre condition honteuse, de notre « état honteux » pour paraphraser le titre du roman paru au Seuil[66], condition honteuse dont le corps devient la scène initiatique. On assiste à la mort à l’œuvre au sein de cette putride hernie, à la vision proprement sonyenne du pouvoir comme force de décomposition. À propos de cette mort à l’œuvre dans l’écriture de Sony Labou Tansi et de la reconquête de la vie qu’elle appelle, Annie Le Brun explique :

Il faut que Sony aille jusqu’au fond de cette dynamique pour repartir à la conquête de la vie à partir d’un rapport organique au langage. Tout d’un coup, il reprend les mots, et les mots redeviennent des âmes, il fait exploser les mots et chaque mot devient un petit théâtre, auquel il redonne son espace[67].

Nous sommes encerclés tout comme la parole s’encercle elle-même. On l’aura compris : l’œuvre de Sony Labou Tansi et ses mises en scène contemporaines, tout particulièrement Machin la Hernie, nous confrontent à un théâtre lieu d’expérience et d’initiation qui n’est pas sans rappeler la forêt et ses entités, forces de mort et de vie. La vision du monde de Sony naît de la forêt :

Je suis un homme de forêt et de hautes savanes. […] La réalité de la forêt est telle que, quand vous prenez la ligne droite, vous sacrifiez une très grande partie de la réalité. C’est pourquoi j’essaie d’avoir un regard circulaire, explosif qui va dans tous les sens[68].

Forêt profonde comme un labyrinthe, forêt de signes, de sons, de correspondances, forêt tropicale, sans porte d’entrée ni panneau de signalisation, forêt lieu de la mort à l’œuvre, forêt lieu de décomposition d’où renaissent la vie et la poésie.

 

 

Notes

[1] Sony Labou Tansi, Le mort te dit adieu toi qui restes vivant…, manuscrit inédit et non daté présent dans le fonds Sony Labou Tansi à la Bfm de Limoges, p. 143. Ce manuscrit est une première version de Machin la Hernie. URL : http://sonylaboutansi.bm-limoges.fr/items/show/226

[2] Dans un article à paraître, Loreline Courret explique en conclusion de sa lecture de Machin la Hernie à partir du concept de littérature mineure de Deleuze et Guattari : « Sony Labou Tansi avance une définition de la littérature comme un acte pragmatique – ‘‘faire signe’’. Si la littérature est l’art de nommer, sa politique consiste à ‘‘lever l’équivoque’’. » Voir Loreline Courret, « Avoir l’État au ventre. Littérature et énonciation à partir de Machin la Hernie », Études littéraires africaines, à paraître.

[3] Il n’est qu’à lire les témoignages des metteurs en scène avec lesquels il a travaillé pour comprendre en quoi sa réinvention de la langue n’en finit pas d’opérer. Par exemple, celui de Pierre Debauche : « En fait le premier en tout et surtout le premier écrivain du monde puisque il inventait sa propre langue à mesure que sa main traçait des signes sur le papier, une langue complètement originale, brusque, rocailleuse, capiteuse, déconcertante, franche, intelligente car il fallait parfois s’avancer masqué, brutale car il fallait tout dire, souvent teintée de l’humour le plus brusque ou prise à bras-le-corps comme une qu’il fallait soumettre, déconcertée, violée, reconquise et dressée jusqu’à atteindre les nuages, une langue à vous intimider l’âme mais qu’aussitôt vous adoptiez pour des raisons de survie » (Pierre Debauche, « Je me sentais le frère cadet de la maison », dans Nicolas Martin-Granel et Julie Peghini (dir.), La Chair et l’Idée : théâtre et poèmes inédits, lettres, témoignages, écrits et regards critiques. Sony Labou Tansi en scène(s), Besançon, Les Solitaires Intempestifs, coll. Du Désavantage du vent, 2015, p. 207).

[4] Sony Labou Tansi, « L’écrivain face à la polémique », Encre, sueur, salive et sang, Paris, Seuil, p. 48 : « En ma qualité, triste hélas, de metteur en signe du monde, je n’ai d’autre passion que la simple joie d’appeler les choses par leur nom. »

[5] Antoine m’a vendu son destin / Sony chez les chiens, textes de Sony Labou Tansi et Dieudonné Niangouna, création en février 2017 à Bonlieu, Scène Nationale d’Annecy et jouée au Théâtre de la Colline du 21 février au 18 mars 2017.

[6] Sony Labou Tansi, « Je prête mes artères au verbe », Encre, sueur, salive et sang, op. cit., p. 100.

[7] Sony Labou Tansi, « Comment je crois être écrivain », Encre, sueur, salive et sang, op. cit., p. 83.

[8] Sony Labou Tansi, « Je prête mes artères au verbe », Encre, sueur, salive et sang, op. cit., p. 100 : « Personne ne peut prêter ses veines et ses artères aux autres. Je prête les miennes au verbe. Je prête ma bouche à tous ceux qui, un jour, peuvent perdre la vie. »

[9] Tchicaya U Tam’si, dans « Tchicaya/Sony. Le dialogue interrompu, Rencontre animée par Daniel Maximin », Notre librairie, n° 92-93, mars-mai 1988, p. 92.

[10] Nous l’écrivions avec Xavier Garnier dans notre introduction au numéro d’Études littéraires africaines sur le théâtre de Sony Labou Tansi : « L’impact de l’écriture théâtrale de Sony sur les générations de dramaturges africains qui lui ont succédé est immense ; presque tous s’inscrivent dans son sillage » (Xavier Garnier et Julie Peghini, « Sommes-nous sortis du monde, Sony Labou Tansi ? Le théâtre, la scène, la fable », dans Xavier Garnier et Julie Peghini (dir.), Le Théâtre de Sony Labou Tansi, Études littéraires africaines, n° 41, 2016, p. 10).

[11] Sony Labou Tansi, « C’est pour remettre la dimension magique aux choses que j’écris », entretien de Sony Labou Tansi avec Dominique Papon, dans « Les auteurs de la création », vol. 3, réalisation de Michel Toutain et de l’équipe vidéo du Festival international des Francophonies, 1989.

[12] Pour ne citer que des spectacles créés ou joués en France : Antoine m’a vendu son destin / Sony chez les chiens, déjà cité ; Si nous voulons vivre, d’après Encre, sueur, salive et sang, mise en scène de Patrick Janvier, création le 30 octobre 2016 à Ouagadougou dans le cadre des Récréatrales ; Machin la Hernie, texte de Sony Labou Tansi, mise en scène de Jean-Paul Delore, création en avril 2016 au Tarmac (Paris).

[13] Sur la contagion comme poétique, voir Xavier Garnier, Sony Labou Tansi. Une écriture de la décomposition impériale, Paris, Karthala, 2015, et Nicolas Martin-Granel, « Une poétique de la contagion », dans Papa Samba Diop et Xavier Garnier (dir.), Sony Labou Tansi à l’œuvre, revue Itinéraires et Contacts de cultures, n° 40, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 145-159.

[14] Sony Labou Tansi, « Sony Labou Tansi : l’homme qui dit tous les hommes », Encre, sueur, salive et sang, op. cit., p. 31.

[15] C’était dit on ne peut plus directement et abruptement, dans un discours tenu en son nom propre, devant les enseignants et les étudiants de l’université de son pays : « Parmi les ustensiles de polémique qui sont les nôtres, il y a la question d’appartenance à telle ou telle autre école, pour l’Afrique, le point de mire restant l’infortuné Monsieur Senghor, avec sa pauvre ex-Négritude. Pour être franc, à ce sujet, quand la Négritude passe dans la rue, par respect, j’observe une page de silence et je me mets au garde à vous. Et quand les miliciens de la polémique me demandent ce que je pense de la Négritude, je réponds : ‘‘On ne peut plus arrêter d’être Noir’’. Et je voudrais qu’en lisant n’importe lequel de mes livres, Senghor s’écrie : ‘‘Ainsi je m’étais donc trompé de Négritude’’. » (Sony Labou Tansi, « L’écrivain face à la polémique », art. cité, p. 52-53).

[16] Ibid., p. 45.

[17] Sony Labou Tansi, cité dans Gabriel Garran, « On habite une langue avant d’habiter un pays », dans La Chair et l’Idée, op. cit., p. 205 : « Je me présente : je commence toujours par donner mon état civil. On devrait dire mon état d’homme plutôt. Ce qui prouve que je suis prétentieux ou insupportable. Je suis donc Sony Labou Tansi. Métier : homme. Fonction : révolté. Nationalité : afro-humaine. »

[18] Sony Labou Tansi, « Je ne suis pas à développer, mais à prendre ou à laisser », Encre, sueur, salive et sang, op. cit., p. 88.

[19] Sony Labou Tansi affectionnait ce mot, qui est le titre d’une de ses pièces de théâtre, La Gueule de rechange, publiée dans La Chair et l’Idée, op. cit., p. 31-99.

[20] Nicolas Martin-Granel et Julie Peghini, « Ce que Sony Labou Tansi fait au théâtre », introduction à La Chair et l’Idée, op. cit., p. 104.

[21] Cette archive privée de Guy Lenoir est visible dans mon film Insurrection du verbe aimer, un long métrage consacré à la poésie de Sony Labou Tansi (Special Touch Productions et Collectif Louise, 80 min., 2019).

[22] Voici une présentation de cette troupe créée par Sony Labou Tansi parue dans la revue Équateur : « En 1979, Sony Labou Tansi fonde avec de jeunes écrivains le Rocado Zulu Théâtre de Brazzaville. Les créations de la compagnie regroupent des auteurs aussi divers que Nicolas BISSI, Henri LOPES, Aimé CESAIRE, Sony LABOU TANSI, Sylvain BEMBA. Le Rocado Zulu Théâtre a effectué de nombreuses tournées au Congo et au Zaïre et a participé à plusieurs festivals dont le Festival d’Asti (Italie) 1981, le Festival de la Francophonie (France). Le Rocado Zulu Théâtre a reçu en 1980 le Premier Grand Prix National de Théâtre et en 1981 le Grand Prix théâtral Inter Africain » (Bernard Magnier, « Sony Labou Tansi : un citoyen de ce siècle », Équateur, n° 1, oct.-nov. 1986, p. 66).

[23] Sony Labou Tansi, « Comment je crois être écrivain », art. cité, p. 83. Citons ici des vers de Sony qui font référence à ses « ancêtres », sorte de généalogie naturelle, placée sous l’ordre du cosmos : « Je cite les pyramides / Je cite le palmier à huile / Je cite le cuivre Katangais / Je cite le tigre et le lion / Je cite l’herbe la plus herbe du monde — / Je ne laisserai pas ces ancêtres sombrer dans vos Voltaire. » (Sony Labou Tansi, « Vers au vinaigre (version 2) », Poèmes, édition critique et génétique de l’œuvre poétique coordonnée par Nicolas Martin-Granel et Claire Riffard, en coll. avec Céline Gahungu, Paris, CNRS Éditions, coll. Planète Libre, 2015, p. 397.

[24] Annie Le Brun, « L’ombre des mots, la proie des choses », dans La Chair et l’Idée, op. cit., p. 303-307.

[25] Annie Le Brun, « La figure du dictateur aujourd’hui : Sony rattrapé par l’actualité ? », rencontre avec Jean-Paul Delore, Annie Le Brun, Nicolas Martin-Granel et Dieudonné Niangouna animée par Bernard Magnier à l’issue d’une représentation de Machin la Hernie le 18 octobre 2017 au Tarmac (Paris). Notre transcription. La captation de cette rencontre est présente dans ce numéro : https://www.thaetre.com/2020/12/08/sony-rattrape-par-lactualite/

[26] Sony Labou Tansi, « Propos de répétition », dans La Chair et l’Idée , op. cit., p. 102.

[27] Le 13 septembre 2017, Toups Bebey a échangé avec le public de l’Université de Toulouse Jean Jaurès, réuni autour de L’État honteux (Seuil, 1981), texte de Sony Labou Tansi qu’il a mis en musique pour accompagner le jeu de Georges M’Boussi, ancien comédien du Rocado Zulu Théâtre qui continue de porter à la scène les textes de Sony.

[28] Sony Labou Tansi, L’Acte de respirer, dans L’Atelier de Sony Labou Tansi, vol. II Poésie, édition établie par Nicolas Martin-Granel et Greta Rodriguez-Antoniotti, Paris, Revue Noire Éditions, 2005.

[29] Sony Labou Tansi, « Je prête mes artères au verbe », art. cité, p. 99.

[30] Vsevolod Meyerhold, Écrits sur le théâtre, tome IV, trad. Béatrice Picon-Vallin, Lausanne, L’Âge d’homme, 1992, p. 322 : « Je travaille dix fois plus facilement avec un acteur qui aime la musique […] Rares sont ceux qui comprennent que la musique est le meilleur organisateur du temps dans un spectacle. Le jeu de l’acteur, c’est, pour parler de façon imagée, son duel avec le temps. Et ici, la musique est son meilleur allié. Elle peut éventuellement ne pas du tout se faire entendre, mais elle doit se faire sentir. »

[31] « Rythm’n Dance Avec Sony Labou Tansi », New Morning, Paris, 22 nov. 2015. Au programme : impromptus musicaux autour de poèmes choisis de Sony Labou Tansi (Laëtitia Ajanohun, Marie-Charlotte Biais, Jean-Paul Delore, Mathieu Montanier, Dieudonné Niangouna et Nzongo Soul), Quartet afro jazz (Médéric Collignon, Philippe Gleizes, Pierre Lambla et Mel Malonga), Jazz bal métropolafricain et performance intitulée SLT 1000 images (Pierre-Marc de Biasi).

[32] Le Chant des signes, textes de Sony Labou Tansi, Conception, composition et interprétation de Marcus Borja, création en octobre 2015 dans le cadre des Francophonies en Limousin au Théâtre Expression 7, Limoges.

[33] Sony Labou Tansi, « Vers au vinaigre (version 2) », Poèmes, op. cit., p. 301.

[34] Sony Labou Tansi, note sur un manuscrit non identifié, dans La Chair et l’Idée, op. cit., p. 302.

[35] Dieudonné Niangouna, « Clandestin du théâtre », entretien réalisé par Olivier Neveux, Théâtre/Public, n° 232, avril-juin 2019, p. 29.

[36] Dieudonné Niangouna, « Entretien avec Dieudonné Niangouna », dans Xavier Garnier et Julie Peghini (dir.), Le Théâtre de Sony Labou Tansi, op. cit., p. 91.

[37] Sony Labou Tansi, « Lettre à Françoise Ligier, octobre 1947 », dans La Chair et l’Idée, op. cit., p. 36.

[38] Jeanne Favret Saada, Les Mots, la mort, les sorts. La sorcellerie dans le Bocage, Paris, Gallimard, Bibliothèque des Sciences Humaines, 1977, p. 37.

[39] En septembre 2013, dans le cadre du projet « Les testaments de Sony Labou Tansi », soutenu par le Labex Arts H2H, j’ai co-organisé avec Jean-François Dusigne un stage de direction d’acteurs animé par Jean-Damien Barbin et Dieudonné Niangouna autour de la poésie de Sony Labou Tansi. Un moyen-métrage, co-réalisé avec Laëtitia Biaggi, est consacré à ce travail : SLT : lieu de c(l)asse (2015). En clôture de ce projet, avec Jean-Damien Barbin et Nicolas Martin Granel, nous avons coordonné un colloque : « Sony Labou Tansi en scène (s) : une expérience théâtrale du monde » (CNSAD, 14 et 15 nov. 2013) pour restituer les travaux des élèves du Conservatoire, mais aussi réunir les compagnons de route de l’activité théâtrale de Sony Labou Tansi et du Rocado Zulu Théâtre, en France et au Congo. Deux ans plus tard, avec Nicolas Martin-Granel, nous avons publié La Chair et l’Idée qui restitue des témoignages, écrits, poèmes issus de cette expérience au CNSAD et qui revient sur le théâtre de Sony Labou Tansi tout en publiant certains de ses textes (dont La Gueule de rechange, pièce alors inédite).

[40] Sur le festival Mantsina-sur-scène, voir Laëtitia Ajanohun et Julie Peghini, « Ici tout est une possibilité d’une possibilité d’une possibilité d’une possibilité »,Théâtre/Public, n° 232, avril-juin 2019, p. 74-79.

[41] Dieudonné Niangouna, « Clandestin du théâtre », art. cité, p. 30.

[42] Voir Amélie Thérésine, « Sony Labou Tansi, précurseur de nouvelles écritures dramatiques ? », dans Xavier Garnier et Julie Peghini (dir.), Le Théâtre de Sony Labou Tansi, op. cit., p. 25-37.

[43] Sony Labou Tansi, « L’écrivain face à la polémique », art. cité, p. 47.

[44] Sony Labou Tansi, Je soussigné cardiaque, Paris, Hatier, 1981, p. 78, p. 109, p. 110-111, p. 144, p. 146 et p. 149.

[45] Sony Labou Tansi, Conscience de tracteur, Yaoundé (Cameroun), Les Nouvelles Éditions Africaines/CLE, [1973] 1979, p. 26.

[46] Sony Labou Tansi, Antoine m’a vendu son destin, Paris, Acoria Éditions, [1986] 2016.

[47] Sony Labou Tansi, La Vie et demie, Paris, Seuil, 1979, p. 9.

[48] Voir Sony Labou Tansi, « Aucune instabilité culturelle ne peut produire des économies viables. Propos recueillis par Célestin Diankouika et Marc Talansi », Mweti, n° 1270, 19 novembre 1985, Brazzaville, p. 6 : « Nous sommes des hommes qui voulons montrer des hommes à d’autres hommes. »

[49] Dans Conscience de tracteur, le savant fou s’appelle Noé. C’est en fait un « nouveau Noé », et il a construit une arche pour fonder une humanité nouvelle, dépourvue de haine et de patience, qu’il appelle une « conscience de tracteur ». C’est donc une réécriture de la Genèse et de l’Apocalypse et une critique radicale de l’Occident et du discours scientifique qui lui est assimilé. La Gueule de rechange raconte l’histoire d’un peintre, Lebamb’ou-Gatsé, qui déclenche par un tableau une vague de folie, une catastrophe cosmique, qui ravage toute la région de Fontainebleau et provoque des embouteillages où des millions d’automobilistes sont pris au piège : « C’est un artiste qui a peint quelque chose de fantastique. C’est tellement beau que ça rend fou. Et le peintre, qui est forcément piviniste, se trouve à Paris, dans un taxi, en train d’aller en Auvergne, avec son truc qui rend fou » (La Gueule de rechange, op. cit., p. 34).

[50] Sony Labou Tansi, « La tâche de l’écrivain », Encre, sueur, salive et sang, op. cit., p. 91 : « Notre logique actuelle est basée sur le cannibalisme : cannibalisme économique, culturel, moral, philosophique et même esthétique. Il va sans dire que pareille logique ne peut aboutir que sur un ensauvagement toujours plus grand de l’Espèce humaine. »

[51] Xavier Garnier et Julie Peghini, « Sommes-nous sortis du monde, Sony Labou Tansi ? », art. cité, p. 10.

[52] Sony Labou Tansi, « Quel théâtre dans un monde atteint d’un vicieux traumatisme cinématographique d’essence américaine ? », dans La Chair et l’Idée, op. cit., p. 153.

[53] Xavier Garnier et Julie Peghini, « Sommes-nous sortis du monde, Sony Labou Tansi ? », art. cité, p. 10.

[54] Sony Labou Tansi précise les contours de cette dimension spectaculaire dans cette remarque : « Il y a une manière de vivre le corps en Afrique et le spectacle dépend beaucoup de cette conception. Le théâtre est d’abord et avant tout un spectacle. » (Sony Labou Tansi, dans Bernard Magnier, « Sony Labou Tansi : un citoyen de ce siècle », art. cité, p. 19).

[55] Ainsi signait Sony nombre de ses lettres, que l’on trouve dans L’Atelier de Sony Labou Tansi, vol. I Correspondance, 1973-1983, édition établie par Nicolas Martin-Granel et Greta Rodriguez-Antoniotti, Paris, Revue Noire Éditions, 2005.

[56] Sony Labou Tansi, Le mort te dit adieu toi qui restes vivant…, op. cit.

[57] Dans la cosmogonie kongo, à l’origine du monde, l’homme et la femme étaient un seul et même corps avec deux têtes en sens opposé. Le jour où ils ont voulu se regarder en face, leur être unique s’est disloqué et l’espace de la mort s’est imposé entre les deux nouvelles créatures.

[58] Dieudonné Niangouna, « Entretien avec Dieudonné Niangouna », art. cité, p. 91.

[59] Sony Labou Tansi, « Préface à La Parenthèse de sang », Encre, sueur, salive et sang, op. cit., p. 28-29.

[60] Sony Labou Tansi, « Ici commence ici », Poèmes, op. cit., p. 613.

[61] Sony Labou Tansi, L’Acte de respirer, V1, Poèmes, op. cit., p. 666.

[62] Ibid., p. 668.

[63] Dans la première version du texte Sony chez les chiens, publiée aux Solitaire intempestifs, Dieudonné s’adresse à Sony Labou Tansi en ces termes : « T’inquiète, mon vieux, je fais mon œuvre mais je termine la tienne » et ajoute « Et l’autre-là le Niangouna qui n’a rien trouvé de mieux que de chopper ces insanités… C’est la faute à Sony tout ça. Il a gaspillé les enfants. […] C’est ça l’héritage ? […] Les jeunes auteurs sont tous devenus prétentieux, orgueilleux, insolents, subversifs, cochons ! » (Dieudonné Niangouna, Sony chez les chiens, dans La Chair et l’Idée, op. cit., p. 344). Tout en dressant là son autoportrait avec une ironie mordante, Dieudonné Niangouna se reconnaît en fils spirituel.

[64] Jean-Paul Delore, « La figure du dictateur aujourd’hui : Sony rattrapé par l’actualité ? », rencontre citée. Notre transcription.

[65] Sony Labou Tansi, L’Autre Monde. Écrits inédits. Paris, Revue Noire Éditions, 1997, p. 77.

[66] Ainsi s’en explique Jean-Paul Delore dans sa note de mise en scène : « Locataires de la langue française (avec quelques loyers payés d’avance) Sony et Dieudonné longent la même nuit côte à côte. Alors, la dérision et la parodie, la honte, le pressentiment de la démesure de l’horreur, la quête amoureuse dans l’œuvre de Sony, la folie et la peur, le chagrin et l’insolence, le sexe dément, la rage, le rire ignoble que porte comme nul autre l’acteur Niangouna, sont choses familières pour ces deux poètes. Les héros de la civilisation du désastre qu’ils écrivent ou incarnent, qu’ils soient tyrans ou petits garçons de cour, dessinent les contours d’une même silhouette d’homme masculin. Mais ne nous y trompons pas, il n’a rien de spécifiquement congolais ou africain, cet homme acteur, jouisseur et victime du chaos. Il a uniquement les qualités de l’homme moderne : agité, perdu, amoureux, sale, incohérent et puissant. L’homme tout court dans ce monde ci, incapable de se résigner avec son désir et sa peur au ventre. Un homme honteux qui reste affreusement triste et seul avec les mots de son interminable révolte, son interminable agonie. » Texte accessible en ligne sur le site de la LZD : http://www.lzd.fr/spectacles/machin-la-hernie/

[67] Annie Le Brun, « La figure du dictateur aujourd’hui : Sony rattrapé par l’actualité ? », rencontre citée. Notre transcription.

[68] Sony Labou Tansi, dans Élisabeth de Roland, « Entretien de Sony Labou Tansi du 10. 05. 1985, R.F.I., n. 1126 », cité dans Élisabeth de Roland, Étude du théâtre de Sony Labou Tansi : un théâtre d’Afrique noire francophone, un théâtre engagé, un théâtre d’éducation et de combat, mémoire de maîtrise sous la direction de Jacques Chevrier. Université Paris-Sorbonne, 1993, p. 33.

 

L’autrice

Julie Peghini est anthropologue et réalisatrice. Maîtresse de conférences à l’Université Paris 8, elle est membre du CEMTI (Centre d’études sur les médias, les technologies et l’internationalisation) et chercheuse associée à l’ITEM-CNRS (Institut des textes et manuscrits modernes) où elle travaille notamment dans le groupe Sony Labou Tansi. Elle a collaboré artistiquement sur deux spectacles autour de Sony Labou Tansi, avec Étienne Minoungou (Si nous voulons vivre) et Marcus Borja (Le Chant des signes). Avec Dominique Malaquais, elle coordonne Yif Menga, programme de recherche sur la performance comme projet politique. Consacré à l’héritage contemporain de l’œuvre de Sony Labou Tansi, Insurrection du verber aimer (2019) est son premier long métrage documentaire.

 

Pour citer ce document

Julie Peghini, « Le théâtre organique de Sony Labou Tansi », thaêtre [en ligne], Chantier #5 : Machin la Hernie : théâtre monstre (coord. Jean-Christophe Goddard et Julie Peghini), mis en ligne le 8 décembre 2020.

URL : https://www.thaetre.com/2020/12/08/le-theatre-organique-de-sony-labou-tansi/

 

À télécharger

Le théâtre organique de Sony Labou Tansi

 

 

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