Prologue
Réactiver Sarah Bernhardt
Création à La Manufacture (Lausanne) le 11 novembre 2016
Photogramme issu de la captation et extrait audio
avec les voix de Sarah Bernhardt et de Tomas Gonzalez sur un extrait de Phèdre de Racine
La présente conférence est née d’un programme de recherche sur les usages du terme et de l’objet « partition » dans les arts de la scène, dirigé par Yvane Chapuis et Julie Sermon à La Manufacture – Haute École des Arts de la Scène entre 2014 et 2016[1].
En sa qualité d’historienne du théâtre, Anne Pellois y présentait d’une part des matériaux en lien avec l’idée d’une « partition » d’acteur·rice et la question sous-jacente d’une possible notation du jeu, accompagnés d’exemples de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. D’autre part, elle y analysait l’évolution dans la langue théâtrale d’éléments terminologiques autour des termes « jouer », « incarner » et « interpréter »[2]. À partir de ces différentes sources et en tant que praticien, Tomas Gonzalez présentait quant à lui un premier essai de réactivation du jeu de Sarah Bernhardt.
Le croisement de ces deux approches respectives est le point de départ d’une collaboration qui a non seulement donné cette conférence que nous retranscrivons ici dans son dernier état[3], mais également une série d’ateliers autour des questions de copie, imitation et réactivation, à partir d’un corpus d’archives composé d’interprétations de Phèdre depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à nos jours[4]. L’ensemble de ces pratiques est animé d’une question initiale : est-il possible d’élaborer et d’exécuter une partition, gestuelle, vocale, plastique, spatiale, permettant de toucher du doigt la nature d’une interprétation passée, la singularité d’un jeu issus d’une époque différente de la nôtre, l’effet d’une présence à laquelle nous n’aurions jamais accès[5] ? Quels documents sont à notre disposition pour mener cette enquête et quels protocoles de lecture, de croisements et de mise à l’épreuve est-il possible d’emprunter pour percevoir ce que le jeu de Sarah Bernhardt peut avoir de spécifique et de singulier à son époque ?
Notes
[1] Voir la présentation du projet Partition(s) sur le site de la Manufacture. Voir également l’ouvrage qui en a découlé : Yvane Chapuis et Julie Sermon (dir.), Partition(s). Objets et concepts des pratiques scéniques (20e et 21e siècles), Dijon, Les Presses du réel, 2018.
[2] Cette étude a fait l’objet d’une publication : Anne Pellois, « Jouer, incarner, interpréter – Ce que fait l’acteur au XIXe siècle », Revue d’Historiographie du Théâtre [en ligne], n° 7, sept. 2021.
[3] De fait, cette conférence a fait l’objet d’un grand nombre de versions, puisque nous n’avons cessé de la travailler, de la reprendre et de l’approfondir au fur et à mesure de ses reprises. D’où la difficulté que nous avons pu rencontrer pour lui donner une forme publiée, que l’on ne saurait qualifier de définitive. La conférence a été donnée pour la première fois lors de la restitution du programme de recherche « Partition(s) » en novembre 2016 (seule cette première version a été captée pour archivage), et reprise en 2017 et 2018, respectivement à l’Université de Lausanne et à l’ENS de Lyon. Elle a également été donnée le 18 janvier 2022 au CNSAD lors de la journée d’études organisée par Anne Pellois et Tomas Gonzalez à l’invitation de Keti Irubetagoyena, intitulée « Raviver l’archive », dans le cadre des journées d’étude de l’IRMAS sur le détail en arts à Genève le 29 mars, et à l’Université d’Amiens le 7 avril 2022 à l’invitation de Marion Boudier.
[4] L’atelier s’intitule « Histoire sensible du jeu de l’acteur/actrice », et a été donné à la Manufacture-HEARTS de Lausanne dans le cadre du Bachelor de comédien·ne sur les années académiques 2017-18 (promotion I, 3ème année), 2018-19 (promotion K, 1ère année), 2019-20 (promotion L, 1ère année). Il se poursuit en 2021-2022 (avec la promotion M). Ses deux dernières occurrences se sont déroulées avec la participation de Julia Gros de Gasquet pour la réactivation baroque. Il a aussi été donné en version plus réduite à l’ENS de Lyon en 2018-19 (promotion 30 des étudiant·es de la Comédie de Saint-Étienne et master 2 des étudiant·es du parcours de master Dramaturgies). Cet atelier a également fait l’objet d’un stage AFDAS donné à la FAA (Fabrique Autonome des Acteurs) à Bataville (Moussey), en octobre 2021, à l’invitation de Daria Lippi, et de deux workshops d’initiation au CNSAD en janvier 2022 et à l’Université d’Amiens en avril 2022. Pour une réflexion sur cet atelier, voir Tomas Gonzalez et Anne Pellois, « Apprendre en copiant : l’acteur/actrice et ses modèles dans les pratiques de copie, d’imitation et de réactivation », Methodos [en ligne], 21|2021, mis en ligne le 2 février 2021.
[5] Nous ne sommes pas les seuls à être animés par cette question, tant le domaine des études actorales s’est, ces dernières années, emparé de l’épineuse question de l’histoire du jeu. De Jean-Loup Rivière qui se demandait en 2011 si l’art de l’acteur était « un art sans histoire », aux travaux de Julia Gros de Gasquet qui plaide en 2019 « Pour une histoire de l’art de l’acteur », voit dans le Manuel pour le Comédien d’Aristippe en 1826 un formidable texte à performer, et dans le jeu baroque qu’elle pratique et enseigne une machine à réfléchir le jeu depuis notre époque. Le travail collectif autour de grandes figures d’acteurs et d’actrices du passé nous permet également de cerner au plus près les modalités de jeu du passé. Ainsi du numéro de la Revue d’Histoire du théâtre consacré au « Jeu de Maria Casarès » (coord. Marion Chènetier Alev), n° 277, janv.-mars 2018. Les travaux relatifs à des périodes de jeu, le Moyen-Âge par Marie Bouhaïk-Gironès, le XVIIe baroque par Julia Gros de Gasquet et le XVIIe comique pour Céline Candiard, revendiquent tous la possibilité de percevoir le jeu autrement que de manière abstraite et désincarnée. Voir Jean-Loup Rivière, « Jouer : un art sans histoire ? », dans Robert Abirached (dir.), Le Théâtre français du 20e siècle, Paris, L’Avant-scène théâtre, 2011 ; Julia Gros de Gasquet, « Pour une histoire de l’art de l’acteur : XVIIe-XXIe siècles. Perspectives et propositions », Revue d’Histoire du Théâtre, n° 281, janv.-mars 2019 ; « L’alphabet pour penser l’art de l’acteur : le dictionnaire d’Aristippe », Ligeia, n° 153-156, janv.-juin 2017 ; avec Céline Candiard, Scènes baroques d’aujourd’hui. La mise en scène baroque dans le paysage culturel contemporain, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 2019 ; Marie Bouhaïk-Gironès, « Comment faire l’histoire de l’acteur au Moyen Âge ? », Médiévales [en ligne], 59|2010, mis en ligne le 20 mars 2013.