5. Le dire
C’est ça qui est important. Juste de le dire. On cherche le juste rapport à ce geste. À la parole.
Il n’y a pas d’adresse. On n’attend rien en retour. Ne pas craindre la monotonie. C’est elle qui joue. C’est un chapelet.
On ne porte pas de sens. Il ne s’agit pas de dire à quelqu’un en attendant une réaction ou en cherchant à provoquer quelque chose. Juste les faits. Comme quand Duras dit « je t’aime » dans Les Mains négatives. C’est un fait. Posé là dans toute sa puissance et toute son innocence.
Comme une transposition. Un rapport aux mots libéré de la question de l’efficacité. Ça ne veut pas dire plat, donc. Ça veut dire libre.
Et ça n’est pas abstrait. Au contraire. C’est absolument concret. C’est une façon d’être. De prendre place. Cette liberté-là. Pas partir. Prendre place. Sans aucune justification.
Ça se travaille, humblement et délicatement, en répétant, en essayant. Le souffle et le rythme. L’imaginaire. Ça, ça vient d’entendre. Quelque chose qui enfle. Quelque chose qui enfle silencieusement.
Tempo allegro. La lenteur, le rythme et le tempo très lents, mènent à presque un contre-sens. Parce que ce qu’on entend c’est le poids de la charge et la pression du temps plus que la force de vie. Il faut que ça ait l’air facile, comme marcher sur des vagues, ou marcher sur du feu. Alors on entend quelque chose d’un peu différent, et dans ce rythme léger, soutenu, se glissent les ruptures, les écarts auxquels je travaille.
Muscler la parole, le souffle, l’imaginaire, détendre complètement l’énonciation.
Notes de travail
18. 03. 2020
Il faut que ça ait l’air facile.
L’acte, en grec ἔργον, est la réalisation. C’est ce qui donne forme au monde ou à ses parts : l’œuvre pénètre et transforme la matière.
Paradoxe d’un dire qui soit complètement fondu dans l’être, imaginaire et corps, et qui pourtant semble détaché, comme flottant au-dessus. Pas la mélodie, pas les notes, mais la musique. Intervalles. Entre.
17. 04. 2021
La vie intérieure. La vie avec les objets. Le présent. Traverser une journée. Être traversée par une journée. Le vide. La distance. L’ennui et l’absence d’ennui. La femme-rouage. En prise directe. La chose vécue. Monde très vaste. Pas une bulle. Singularité. Périlleux. Ordinaire. Point d’appui. Fragile. Vacillante. Lumineuse. Solitude. Désir. Étonnement. Les autres. Mais pas étrangers. Les heures pleines. Les secondes et les minutes. Congestionné. Pudeur. Angoissant. Oppressant. Agaçant. Le souci de bien faire. Apnée. Crier. Respirer. Amoureuse. Air frais. Choses perdues et renversées. Café. Clope. Monter. Descendre. Entrer. Sortir. Aux prises. L’attention portée. Retard. Repas. La mort. Corps à corps. Le geste. Challenge. Garante. Tact. Délicatesse. Peur du vide. Amour du vide. Espace de bien-être. La tendresse. L’humour. Recouverte, rejointe, émergeant. Le bruit du monde. Le réel et le réel transposé.
Ne crie pas. La peur de sembler vindicative. Ne pas demander. (Encore – réclamer.) Prendre ou se taire. Et, ayant pris, se taire. (Sous peine d’y retourner.) Crier. Elle est pénible, celle-là. UNTRUE UNSEEN UNTOLD | Non-existent | Même pas mal | I’m tough I’m strong | A survivor | NOT ONE OF THEM | Not my sisters (lointaines cousines, tout au plus). Faut-il les crier, ces heures ? Comment dans un murmure faire entendre le cri.