« Le tube est nécessairement au passé »

 

Entretien réalisé par Agnès Curel

 

Agnès Berthon dans La Réunification des deux Corées
Texte et mise en scène de Joël Pommerat
Théâtre de la Porte Saint-Martin, avril 2024
© Agathe Pommerat

 

 

Antonin Leymarie est compositeur et travaille depuis 2006 avec Joël Pommerat[1]. Il a notamment signé les musiques originales de Cet Enfant (2006), Pinocchio (2008), Je tremble 1 & 2 (2008), Cercles/Fictions (2010), Ma Chambre froide (2011), Cendrillon (2011), La Grande et Fabuleuse Histoire du commerce (2011), La Réunification des deux Corées (2013), et Contes et légendes (2019). Il est actuellement artiste associé au Théâtre Silvia Monfort. En tant que batteur, il s’est produit avec de nombreux groupes, dont Le Magnetic Ensemble et l’Imperial Quartet. Il a également une carrière en tant que batteur solo. On peut actuellement l’entendre dans le projet Hyperactive Leslie.

Les spectacles de Joël Pommerat sont, par bien des aspects, des patchworks musicaux. S’y succèdent, aussi bien pendant les « noirs » que pendant les scènes jouées, nombre de matériaux sonores enchevêtrés : nappes créées par les collaborateurs son, morceaux glanés sur YouTube et testés lors de répétitions, qu’il s’agisse de tubes ou de morceaux plus confidentiels. Le travail musical ne s’arrête pourtant pas à cette première juxtaposition, puisque la véritable structure sonore est constituée par les compositions musicales d’Antonin Leymarie. Débordant de propositions, il compose pour chaque spectacle de nombreuses musiques et chansons parmi lesquelles Joël Pommerat vient piocher. Les pièces musicales livrées par le compositeur sont diverses et peuvent être ensuite retravaillées au plateau, le metteur en scène choisissant de ne garder parfois que quelques secondes des musiques et d’en faire des boucles sonores.

Il peut y avoir quelque chose de paradoxal à interroger un compositeur au sujet des tubes qu’il n’a précisément ni créés, ni choisis. Pourtant, c’est bien cette hétérogénéité sonore, constitutive des spectacles de Joël Pommerat, qu’il semblait ici intéressant d’évoquer. Comment compose-t-on quand sa création peut côtoyer un tube de Richard Cocciante ou de Dalida ? Comment cet univers sonore « extérieur », très ancré dans les chansons pop des années 1980 et 1990, peut-il interagir avec l’univers musical d’Antonin Leymarie ?

L’entretien a eu lieu à Paris, en février 2024. Antonin Leymarie était alors en résidence au Théâtre Silvia Monfort, en tant qu’artiste associé.

 

Tu composes de la musique originale pour les spectacles de Joël Pommerat ; il peut donc paraître paradoxal de t’interroger sur l’usage des tubes dans ses mises en scène. Et pourtant, le fait que ta musique coexiste avec ces airs ultra-connus me semble une question intéressante à aborder avec toi…

Pour moi, la première question à se poser, c’est : qu’est-ce qu’un tube ? Comment le définit-on ? J’imagine que chacun a sa propre interprétation. Pour moi, il est évident qu’un tube doit avant tout être un bon morceau, bien cadré, bien formé, très populaire et accessible. C’est un morceau qui doit avoir une résonance, à un moment donné, chez les gens. Si tu fais formellement un bon morceau mais qu’il reste chez toi… ce n’est pas un tube ! Le tube existe parce qu’à un moment, il a été amené aux oreilles des gens en grand nombre.

Selon moi, la définition première repose donc sur l’idée qu’il doit être bien fait, bien composé… Mais, paradoxalement, il y a plein de tubes dégueulasses ! Parce que la deuxième idée, qu’il soit entendu par beaucoup de gens, est aussi une condition quasiment principale. Un tube a été soutenu par le business de la musique, il a été porté aux oreilles des gens, à la télé, à la radio. Il a été passé à outrance partout. Matraqué. Avec un gros investissement sur le titre. Donc l’idée qu’un morceau soit un tube n’est pas forcément liée à la qualité du morceau en lui-même. Et paradoxalement encore, un tube qu’on a écouté et qu’on a aimé… ne peut pas vraiment être un mauvais morceau, même si on le trouve un peu « sale », pas si soigné que ça. Si on est rentré dedans, c’est qu’il nous parle quelque part.

Le tube a donc atteint les oreilles d’un grand nombre de personnes et, à partir de là, effectivement, il arrive dans des moments différents de nos vies, à chacun·e. On l’écoute plus ou moins, et donc il nous raconte une histoire personnelle. On est toutes et tous lié·es… individuellement ! Le tube appartient à la mémoire individuelle, et ensuite à la mémoire collective. Quand on l’entend, c’est comme les odeurs, comme les couleurs, il fait appel à notre mémoire émotionnelle. Celle-ci peut s’ancrer dans des détails : un break de batterie mythique, une manière de prononcer tel ou tel mot… Oui, un des éléments constitutifs du tube reste l’émotion.

A priori, donc, le tube n’est pas au présent. Par exemple, Lady Gaga peut faire un tube, elle sort un morceau, elle a une grande force de frappe au niveau de la production, de la communication… Elle sort un morceau qui cartonne, qui est bien fait… Il devient un tube très rapidement. Mais ce n’est pas en un jour ! Peut-être en un mois ? Pas en un jour en tout cas, car les auditeur·rices n’ont pas eu le temps de ressentir une émotion avec. Donc le tube est nécessairement au passé. Même s’il peut parfois être proche de notre présent, il reste quelque chose qui est passé, qui nous a procuré une émotion qu’on retrouve en le réécoutant. Tu ne peux pas découvrir un futur tube en disant : « c’est un tube ». On peut dire « ce morceau va être un tube ».

Est-ce qu’en tant que compositeur tu interviens dans le choix des tubes qui peuvent surgir pendant le spectacle ?

C’est vrai que souvent, Joël Pommerat met une ou deux chansons connues. Ce n’est pas du tout moi qui les choisis, c’est lui qui s’en charge, ce qui me paraît assez légitime et logique. Évidemment, il pourrait m’en parler, mais moi, inconsciemment bien sûr, je ne suis pas du tout dans une logique où j’ai envie qu’il y ait des tubes qui cohabitent avec ma musique originale. En fait, je pense que je n’ai pas la place dans ma tête pour cela, au moment où je suis en pleine création d’une musique de spectacle, « au présent » donc, par opposition au « passé » des tubes. Je ne peux pas m’imaginer quel tube pourrait cohabiter avec ma musique, il y en a tellement ! Des milliers ! C’est une véritable recherche en soi. C’est bien plus simple que Joël flashe sur un morceau qu’on lui fait écouter ou qu’il connaît, et qu’il décide d’insérer dans le spectacle. Si je m’en chargeais, ce ne serait pas instinctif, ce serait beaucoup trop réfléchi, pas du tout juste. YouTube constitue un champ des possibles : on peut y entendre des milliards de morceaux, y réécouter tous les tubes. Moi je préfère ne pas entrer dans une recherche de musiques déjà écrites, c’est beaucoup trop large !

J’ai un contre-exemple, cela dit : pour Cercles/Fictions, nous avions enregistré une très belle version d’un tube anglais, à la demande de Pommerat. Joël avait écrit un texte pour la chanson, mais cela n’a pas du tout été gardé. Je crois qu’il n’a pas supporté d’entendre chanter une réécriture en français. C’est la seule fois où il m’a demandé de travailler directement avec un tube.

Quand tu commences à composer la musique d’un spectacle de Joël Pommerat, tu n’envisages donc pas du tout l’hétérogénéité musicale, le fait qu’il y ait d’autres morceaux que les tiens qui seront entendus ?

En général, quand je compose la musique, je ne sais pas grand-chose du plateau[2]. J’ai eu un rendez-vous avec Pommerat, il me parle de son projet. Pour Contes et légendes, je me souviens qu’au début, il ne fallait pas parler de robots. Il a dû me parler, en revanche, d’intelligence artificielle, de transformation, de l’automatisation. Moi au début, mon intérêt, c’est plutôt de comprendre ce dont Joël n’aurait pas envie, plutôt que de savoir ce dont il aurait envie… personne ne sait cela à l’avance, c’est bien normal ! J’essaie donc de définir ses limites – ce que j’en comprends car il a un langage de metteur en scène, même s’il adore la musique, s’il est mélomane même. J’essaie de traduire ses sentiments dans mon langage de musicien, de compositeur.

Je fais des choix de composition qui dépendent également d’autres contraintes : je ne fais pas de la musique sur ordinateur, j’enregistre en studio, cela implique donc un choix d’instruments, de musicien·nes disponibles à certaines dates. Je suis vraiment « au présent », donc quand l’enregistrement est passé je ne peux pas me dire qu’à la place du violoncelle, on va plutôt mettre un piano. C’est trop tard. Il y a donc un gros travail avant pour essayer de viser au mieux ce que Joël aimerait entendre, même s’il ne sait pas exactement ce qu’il attend, ce qui est légitime. Pour Contes et légendes, j’ai fait des sessions avec des instruments à cordes, du piano, une voix, celle d’Isabel Sörling[3], une super chanteuse. Je parle un peu à Joël de ce que je vais faire, mais pas non plus tant que cela. Si j’ai une idée en tête, c’est que nos discussions m’ont mené là. C’est une question de confiance.

Pour créer un spectacle, Pommerat et son équipe vont passer trois mois au plateau, et souvent il écrit le matin. Sur les premières résidences, il pose des bases de travail, un cadre, des bouts de texte qu’il va réécrire. Pendant ce temps-là, il écoute une sélection de sources que je vais fabriquer à la suite de ce que l’on a pu se raconter, il va beaucoup beaucoup écouter, et il y a certains passages de musique sur lesquels il accroche. Il peut garder seulement trente secondes d’un morceau que j’ai composé et en faire une boucle.

Et quand la compagnie est en création, tu assistes à certaines répétitions ? Réfléchis-tu à ce moment-là à la coexistence entre ta musique et les morceaux venus d’ailleurs ?

La musique arrive assez tard dans les répétitions. Il y a du son dès le début, mais l’attention vraiment forte sur la musique, précisément, c’est en dernier. Je passe de temps en temps pendant les répétitions. Il y a tout un travail mené par François Leymarie[4], Grégoire Leymarie[5] et maintenant Philippe Perrin[6] qui reprennent toutes les sources du spectacle : les morceaux que j’ai pu composer, les autres musiques choisies par Pommerat et le sound design créé par François, Grégoire et Philippe. Il y a un énorme travail de façonnage au quotidien à partir de ces différentes sources, selon les envies et les intuitions de Joël.

Moi, dans ces moments-là, je passe de temps en temps dans les gradins, je m’installe en régie son et on va travailler ensemble. Comme je ne suis pas là au quotidien, j’ai les oreilles un peu plus « fraîches » que quand tu es plongé toute la journée dans le travail de création. Il y a des choses qui vont un peu me sauter aux oreilles. Et puis je connais assez bien les sources que j’ai proposées, donc je peux avoir une idée et proposer d’essayer plutôt telle ou telle piste. Si jamais Joël me demande mon avis à un moment, je le lui donne bien sûr, mais sinon je ne dis pas forcément ce que j’en pense, il n’y a pas spécialement l’espace pour ça. Je n’interviens pas dans la dramaturgie.

En revanche, en régie son, je vais peut-être agir pour que le collage musical soit un peu plus facile à accepter, pour réussir à faire cohabiter trente secondes de musique du XVIIIe siècle avec une musique rock, puis un morceau de synthé. Nous agissons en jouant sur les intensités, les volumes, les effets de « fade in », sur les octaves, pour que cela passe mieux. On va en discuter justement avec François, Grégoire et Philippe. Nous n’en parlons pas avec Joël, nous faisons des transformations et des essais jusqu’au moment où, pendant la répétition, il se retourne et nous dit que c’était mieux avant, quand il entendait telle ou telle chose. Nous sommes très autonomes. Jusqu’au moment où il nous fait un retour, on y va, on change, on met un autre morceau, on tente !

Les musiques chez Pommerat n’ont cependant pas toujours la même place : certaines sont mises en avant tandis que d’autres sont de l’ordre d’un accompagnement discret. Le prends-tu en compte quand tu composes ?

Je sais que certains morceaux que je vais composer vont servir plutôt en arrière-plan. Il y a beaucoup de musiques en arrière-plan chez Joël, comme chez d’autres metteur·ses en scène, avec le texte dit en parallèle. Les comédien·nes ne parlent pas très fort dans ses spectacles, ce qui crée un aspect cinématographique. Donc il y a beaucoup de matières qui seront en fond. Il y a quelques morceaux que je compose et que j’enregistre avec les musicien·nes en me disant : « Tiens, ça me plairait qu’il le garde. C’est super, ça sonne vraiment bien, ça serait super que ça trouve une place forte. » Mais par ailleurs, il y a des choses que je trouve super, qui n’auraient pas forcément d’intérêt en fond sonore, derrière un texte, ça prendrait trop de place mais paradoxalement ça ne serait pas non plus assez fort pour être vraiment pleinement écouté. Donc quand je compose, il y a effectivement l’idée, peut-être semi-consciente, qu’il y aura des morceaux en arrière-plan et d’autres qui pourront avoir une plus grande importance sur scène. Mais encore une fois, ce n’est pas moi qui choisis. Dans le cas des tubes, ceux-ci sont souvent dans une scène de playback, donc ils sont mis en valeur. C’est un effet général de scénographie, de jeu avec le playback, avec une lumière irruptive, une image très frontale. Et le tube est à fond aussi au niveau du volume.

En fait, ces morceaux mémorables, « qui accrochent l’oreille », c’est une toute petite partie du travail. Il y a énormément de musiques, tout un univers qui se développe au cours du spectacle. Mais c’est normal qu’on ne le remarque pas. On va plutôt se souvenir, dans un spectacle ou dans un film, de moments forts, marquants. Mais la plus grande partie du travail se passe entre ces moments-là. Quand on regarde la scène, on ne l’entend pas vraiment. Mais si tu enlèves cette musique, tu vas entendre qu’elle n’est plus là. Pour moi, c’est comme une bonne musique de film : il ne faut pas l’entendre.

Il y a aussi des musiques que ne je vais pas écrire pour lui parce que je sais comment il travaille le texte, comment il aborde le plateau, même si son travail évolue toujours. Je sais que certains rythmes, certains sons ne passeront pas. Il faut que ma musique trouve une place avec ce qui se fabrique au plateau. Par exemple : je suis batteur et je fais beaucoup de concerts. Je fais danser donc. Mais dans les pièces de Joël, il y a très peu de batterie. Je travaille actuellement avec Bérangère Vantusso pour sa mise en scène de Rhinocéros[7], et là je compose autrement, avec beaucoup de batterie, de percussions. Mais je sais qu’avec Joël, la batterie ne fonctionne pas souvent, qu’elle ne va pas s’accorder avec le texte.  Il faut plutôt que je cherche une longueur de son sur laquelle on peut asseoir un texte.

Dans La Réunification des deux Corées, il n’y a pas de tube reconnaissable pour les spectateur·rices. Pourtant, certaines musiques que tu as composées peuvent résonner comme des tubes, comme si tu activais une « écoute au passé » pour l’auditoire…

C’est sans doute le cas de « Dancing Alone », une chanson que j’ai composée pour ce spectacle et que j’ai enregistrée avec Jeanne Added. Je ne cherchais pas spécialement cet effet, j’avais simplement voulu écrire une chanson, comme cela m’arrive assez souvent pour les spectacles de Joël. Ce morceau est bien fabriqué, avec une mélodie facilement mémorisable, il est joliment chanté : ce sont des éléments qui peuvent composer un tube. On peut se dire que la chanson ressemble à un tube, mais ça n’en est pas vraiment un puisque c’est la première fois qu’on l’entend. C’est une question de technique, de solfège, pour ressentir cela. Sur Youtube, on peut trouver plein de « recettes » pour faire des tubes : une mélodie que l’on retient bien, qui va accrocher un peu l’oreille, avec un refrain un peu entraînant.

Pour « Dancing Alone », je ne me dis pas « tiens, je vais appliquer la recette du tube » : chaque moment d’écriture est particulier. Là par exemple, j’ai écrit la mélodie juste avant d’aller faire les prises, j’étais vraiment pressé. Peut-être que comme c’était dans l’urgence, je me suis arrêté à quelque chose de très simple, parce que je n’avais pas le temps. Ce qui m’est venu était simple, évident. On peut aussi mettre six mois à écrire un tube, bien sûr, pour chercher quelque chose de soigné. J’étais en tout cas bien content que Joël la choisisse, elle le méritait.

 

Magnetic Ensemble, « Dancing Alone »
feat. Thomas de Pourquery et Jeanne Added
Album Dancing alone, 2015

 

Il y a aussi, dans ce spectacle, une chanson que tu as composée et qui est interprétée par le personnage d’Agnès Berthon, « Celui ou celle qui chante »… Écris-tu souvent des chansons pour les spectacles de Pommerat ?

« Celui ou celle qui chante » est un personnage central dans le spectacle, effectivement. Il y a Agnès, tout en doré, qui fait en playback une chanson interprétée par Matthieu Ha[8], qui chantait aussi pour Pinocchio. Peut-être qu’en écrivant, Joël a entendu cette chanson et s’est dit qu’Agnès pouvait faire du playback là-dessus… Ce qui est sûr, c’est que ce n’était pas du tout prévu à l’avance !

C’est vrai que j’écris pas mal de chansons, en fait. Pour Contes et légendes, il y avait des choses magnifiques, mais le public n’entend qu’une toute petite partie de ce que j’écris. Dans quasiment toutes les créations, je propose une voix. Mais la voix, c’est particulier au théâtre. Il y a déjà la voix des comédien·nes au plateau, si moi je propose une voix enregistrée en plus, cela peut venir interférer, ce n’est pas comme un instrument. Sans compter que la voix appelle le texte. Justement, Matthieu Ha est un interprète magnifique qui chante dans une langue imaginaire, « sa langue ». Ça m’arrange bien ! Il n’y a pas de notion de texte, c’est une sorte de grommelot. Quand Matthieu Ha chante sur une mélodie, on a l’impression qu’il y a un texte, qu’il raconte quelque chose avec des syllabes, mais on ne peut pas comprendre ce qu’il dit. Je trouve cet effet très intéressant au théâtre. C’est ce qu’on entend pour « Celui ou celle qui chante », dans La Réunification des deux Corées.

Pour d’autres chansons, « Dancing Alone » par exemple, je m’appuie très souvent sur des bouts de texte qui existent au début, un état du texte non-fini. Je vais en extraire quelques mots qui sonnent bien pour une chanson. Quand je propose une chanson, avec des paroles donc, cela reste lié au texte de Joël.

La Réunification des deux Corées a été repris en 2024 et pour la première fois a été édité un disque des musiques du spectacle[9]. Pourrais-tu nous parler de ce projet ? Ce n’est pas banal pour une création théâtrale !

J’avais déjà fait des musiques de cirque contemporain pour la troupe des Colporteurs, et à chaque spectacle, on sortait un disque.

En ce qui concerne La Réunification des deux Corées, le disque va être super ! Quand je compose tous ces morceaux, c’est la compagnie Louis Brouillard qui est productrice : toutes les musiques enregistrées lui appartiennent, même celles qui ne sont ensuite pas gardées dans le spectacle. Tout est déjà prêt, elles existent ! C’est donc génial qu’on puisse partager cette musique avec celles et ceux qui voudraient la réécouter. Il y aura les morceaux entendus dans les spectacles et d’autres que j’ai composés mais qui n’y avaient pas trouvé leur place.

J’ai également joué certains morceaux composés pour Pommerat à l’occasion de concerts, avec mes groupes, comme le Magnetic Ensemble ou l’Imperial Quartet. On a joué « Le Cercle », que j’avais écrit pour Cendrillon, « Dancing Alone » ou encore « La Fabuleuse », un morceau qui n’avait pas été choisi pour La Fabuleuse histoire du commerce.

 

Magnetic Ensemble, « La Fabuleuse version EP »
Album Dancing alone, 2015

 

 

Même si ce n’est pas une chanson, il y a tout de même un morceau que tu as composé pour Cendrillon et qui me semble particulièrement mémorable : « Le Cercle ». Comme tu viens de le mentionner, tu le joues d’ailleurs aussi en concert. Il ouvre la pièce et la clôture, prenant le relais de « Father and son », le tube de Cat Stevens que chante le Prince à la fin de la pièce. À la suite de cette chanson, Sandra et le Prince commencent à danser et on entend à nouveau le thème du spectacle, qui n’est pas réduit à une boucle mais qui a le temps de se déployer. C’est une belle manière de donner chair à ta musique et d’en faire le clou du spectacle !

Carrément ! Et pourtant, c’est une tout autre musique qui devait être diffusée. J’étais là au moment des répétitions, à Bruxelles. Je trouvais la fin très belle et je pense qu’inconsciemment, j’avais plutôt envie que ce soit un morceau à moi, qu’il ait toute sa place. Je me rappelle que Joël avait choisi une musique un peu rockabilly, et pour une fois je trouvais qu’on pouvait vraiment remettre en question musicalement ce morceau. On voyait les deux enfants danser et il me semblait que ce rockabilly ne trouvait pas sa place au sein de l’esthétique sonore du spectacle dans son ensemble et ne concordait pas avec leur danse – même si on entre ici dans la dramaturgie et que je garde normalement ces pensées pour moi ! J’ai demandé à Joël si on pouvait essayer autre chose. J’ai suivi mon intuition, pris mon ordinateur, un câble… et finalement avec ce morceau, on se racontait beaucoup plus de choses. C’est intéressant car ce n’était pas un tube, il n’y avait pas d’histoire liée, et pourtant il prend chair avec ce qui se passe au plateau. Et cela résonne de manière intéressante avec leur danse, ce n’est pas du tout un morceau de rock mais il y a quand même un air qui tourne dans la musique.

En tout cas, sa place fait bien ressortir le morceau ! La manière dont on l’écoute, on le reçoit, est aussi liée à l’endroit où il est placé. On pourrait faire l’analogie avec un morceau qui est commercialisé, mis en avant par la communication. Là, on touche vraiment à la mise en scène du son.

 

Magnetic Ensemble, « Le Cercle »
Cendrillon de Joël Pommerat (2011)

 

 

 

Notes

[1] Voir la page personnelle d’Antonin Leymarie.

[2] Pour revenir avec plus de précisions sur le processus de création d’Antonin Leymarie, on pourra consulter l’entretien réalisé par Marion Boudier en 2014 pour la revue Agôn : Antonin Leymarie et Marion Boudier, « Entretien avec Antonin Leymarie, compositeur », Agôn [en ligne], HS 2|2014. Voir également l’ouvrage de Cécile Auzolle et l’entretien qu’elle nous a accordé pour ce chantier : Cécile Auzolle, Joël Pommerat. Poésie du sonore et théâtralité du musical, Paris, Classiques Garnier, coll. Études sur le théâtre et les arts de la scène, 2023 ; « ‘‘Les chansons effectuent une dilatation de l’instant’’ », entretien réalisé par Agnès Curel, thaêtre [en ligne], Chantier #9 : Tubes en scène ! L’irruption du tube sur les scènes théâtrales contemporaines (coord. Agnès Curel, Corinne François-Denève et Floriane Toussaint), mis en ligne le 15 janvier 2025.

[3] Voir la page personnelle d’Isabel Sörling.

[4] Collaborateur son et père d’Antonin Leymarie, François Leymarie a commencé à travailler avec Joël Pommerat dès ses débuts dans les années 1990.

[5] Grégoire Leymarie a assuré la régie son des spectacles de la Compagnie Louis Brouillard pendant plus de dix ans, depuis la création d’Au Monde en 2004 jusqu’à Ça ira (1) Fin de Louis. Il est le cousin d’Antonin Leymarie.

[6] Philippe Perrin assure la régie son des spectacles de Joël Pommerat depuis la tournée de Ça ira (1) Fin de Louis. On peut se reporter à son entretien concernant l’usage des tubes dans Contes et légendes : Philippe Perrin, « ‘‘On se retrouve ensemble les bras en l’air comme dans une salle de concert’’ », entretien réalisé par Agnès Curel, thaêtre [en ligne], Chantier #9 : Tubes en scène ! L’irruption du tube sur les scènes théâtrales contemporaines (coord. Agnès Curel, Corinne François-Denève et Floriane Toussaint), mis en ligne le 15 janvier 2025.

[7] Spectacle créé au Théâtre de la Manufacture en janvier 2024.

[8] Voir la page de présentation de Matthieu Ha.

[9] À l’heure de l’entretien, le disque est encore en préparation.

 

Pour citer ce document

Antonin Leymarie, « ‘‘Le tube est nécessairement au passé’’ », entretien réalisé par Agnès Curel, thaêtre [en ligne], Chantier #9 : Tubes en scène ! L’irruption du tube sur les scènes théâtrales contemporaines (coord. Agnès Curel, Corinne François-Denève et Floriane Toussaint), mis en ligne le 15 janvier 2025.

URL : https://www.thaetre.com/2025/01/15/le-tube-est-necessairement-au-passe/

 

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