Lettre d’amour à nos adelphes

Passer le mur de la cishétéronormativité par l’irruption du tube queer
« jtm de ouf » dans pour un temps sois peu de laurène marx

Pour un temps sois peu
Texte et interprétation de Laurène Marx, mise en scène de Fanny Sintès
Création par la Cie Je t’accapare le 9 novembre 2022 au Théâtre de Belleville
© Pauline Le Goff

 

Au printemps 2023, suivant les recommandations très enthousiastes de collègues et ami·es, je me rends à la seconde série de représentations du spectacle Pour un temps sois peu, écrit et joué par Laurène Marx et mis en scène par Fanny Sintès, au Théâtre de Belleville en fin d’après-midi[1]. Construite comme un long monologue partiellement autobiographique à la deuxième personne, la pièce, que j’ai lue en amont, fait le récit d’une transition de genre, critiquant un système cishétéronormatif qui contraint les personnes trans à un parcours du·de la combattant·e. Pour décrire un quotidien réduit bien souvent à la survie, le texte parodie le style des conseils de développement personnel, à grand renfort d’impératifs ponctués par la rengaine « C’est ta vie »[2].

En entrant dans la salle du théâtre, je constate que je suis parmi les spectateur·rices les moins visiblement queer de celle-ci, qu’il s’agisse des codes vestimentaires ou de mon hexis corporelle. Isolé parmi ce public – d’autant plus que je suis venu assister seul au spectacle –, j’ai l’impression diffuse que la parole de Laurène Marx s’adresse à une autre communauté que la mienne, les queer plus jeunes, moins normé·es, moins bourgeois·es. Femme trans non-binaire, tatouée au front et « lookée » impeccablement selon les codes d’une mode queer héritière du punk, semblant s’adresser via ce « tu » continu[3] à une jeune « sœur »[4] trans pré-transition de genre pour la préserver de la violence à venir (qui pourrait être une version passée d’elle-même), Laurène Marx apparaît radicalement loin de moi. En tant qu’homme cisgenre – bien que non hétérosexuel –, je suis celui qui ne peut « comprendre comprendre »[5] le vécu trans et les violences transphobes et parvenir à une entière identification.

Cependant, mon sentiment change à quelques minutes de la fin de la représentation, alors que Laurène Marx interrompt son récit et quitte la position statique devant un micro sur pied occupée depuis le début du spectacle. Sur la musique enregistrée du titre « jtm de ouf » d’ELOI, elle se lance alors dans un court solo chorégraphique, minimal et maîtrisé. Mon affection pour ce titre récent, connu et joué surtout dans le milieu queer, vient soudain atténuer, si ce n’est supprimer, cette première impression de décalage et de non-appartenance au collectif queer formé par le public. Grâce à l’irruption de ce tube queer, je me sens partager un vécu proche de celui de Laurène Marx, à défaut d’être semblable.

 

ELOI, « jtm de ouf »
Album Pyrale, Nadsat, 2022
Clip de Brieuc Schieb

 

Mon expérience lors de cette première représentation de Pour un temps sois peu met en évidence à quel point le tube engage forcément d’une manière ou d’une autre notre subjectivité, dès lors qu’il est reconnu, apprécié, revécu et relu au sein du spectacle. L’irruption du tube a ici un rôle dramaturgique, à la fois grâce à la rupture formelle qu’il provoque et dans l’écho que les paroles de cette chanson ont avec le texte dramatique, qui traite à ce moment précis des relations affectives. Cette irruption a aussi bien évidemment un rôle politique, dans une affirmation de la culture queer, et nous verrons que l’identité et le parcours d’artiste d’ELOI ont des points de connexion avec ceux de Laurène Marx. Politique aussi, par sa capacité à faire communauté, jouant sur l’unité que la musique apporte à un public minorisé, qui a l’habitude de se retrouver dans des safe places, mentales ou concrètes, pour danser. Enfin, l’irruption du tube joue un rôle émotionnel pour l’auditoire queer, entre euphorie et dysphorie, où l’on retrouve cette émotion si caractéristique de son écoute selon Peter Szendy, la mélancolie[6]. Plutôt que d’aborder ces rôles séparément, je propose de les explorer ensemble à travers différentes pistes, tant ils s’entrecroisent dans un décloisonnement propre aux discours et pratiques queer.

 

Tube queer ou queerisé ?

 

Si un tube se définit par une popularité large et visible, les communautés queer, qui revendiquent un regard désaligné des matrices normatives[7], peuvent-elles avoir leurs tubes ? Trois définitions du « tube queer » paraissent possibles.

La première est une question d’échelle. Le tube queer serait une musique qui rencontre un large assentiment dans les communautés queer. Son succès est minoritaire à l’échelle du grand public mais très large dans celles-ci. Il userait de formes musicales spécifiques, définies en particulier par l’hybridation, et serait composé par des stars relativement confidentielles, peu connu·es en dehors du « milieu ». Ainsi, ELOI et sa musique sont d’abord repérées et encensées par un public queer, et mises en valeur par une presse communautaire qui lui accorde un traitement privilégié, comme le magazine LGBT+ Têtu[8], ou le magazine culturel queer en ligne Friction[9]. Le titre « jtm de ouf » est représentatif d’un style queer grâce à son caractère hybride, à la croisée de plusieurs genres musicaux, entre pop, rap et chanson française, style où la musique électronique a la part belle, genre particulièrement plébiscité par un public queer depuis les années 1990, succédant à la house et au disco[10]. Interrogée sur cette question du genre musical, ELOI décrit son malaise à se classer dans une catégorie précise :

C’est juste difficile de mettre des termes dessus parce que c’est assez hybride ce que je fais. […] Et plus je vais avancer, plus les gens vont avoir du mal à caractériser parce que c’est de plus en plus hybride. Ça se décloisonne aussi parce qu’on commence tous à travailler ensemble et il y a un hype autour de ces termes-là. J’adore le terme d’« hyperpop » mais juste, il veut rien dire, je trouve[11].

À cette hybridité musicale s’ajoutent également des références identifiées comme queer, en particulier Rebeka Warrior et son groupe Sexy Sushi, mentionné·es comme une influence décisive par ELOI[12]. Enfin, ELOI a fait ses débuts « de façon très alternative »[13] à l’écart des circuits dominants de l’industrie musicale et revendique son indépendance en se méfiant des injonctions commerciales, ce qui vient renforcer son identification à une subculture queer critique à l’égard du capitalisme culturel :

Dans l’industrie musicale, en général, on te demande plutôt de pouvoir suivre une espèce de flèche qui monte. […] Mais je n’ai pas envie de faire de mon expression un produit. […] Je sens énormément [cette menace] et c’est pour ça que je veux être le plus indépendant possible. Avec le label, je ne voulais pas signer en artiste, ni même en édition, je voulais juste qu’ils s’occupent de la distribution. […] Moi, je veux juste pouvoir être dans un truc circulaire, utiliser ce que je gagne pour bosser avec des artistes que je paye en direct. Pas d’interface[14].

Une deuxième définition serait de considérer queer le tube dont l’artiste est queer, mais qui acquiert une notoriété qui dépasse celle du public communautaire queer. Or la chanteuse de « jtm de ouf » diverge bien des normes sexuelles et de genre dominantes. « Queer » semble lui venir plus spontanément que « lesbienne » pour se définir, même si elle n’hésite pas à confirmer le sens implicite du premier par le second[15]. Sa préférence de vocabulaire est le reflet d’une identité de genre « fluide »[16], définie comme « boygirl »[17], remettant en cause le binarisme de genre. Son nom de scène, prénom masculin raccourci à partir de son prénom civil « Éloïse » et écrit tout en majuscules, semble d’ailleurs susciter l’embarras de quelques journalistes qui ne savent plus comment la genrer[18]. La chanson « jtm de ouf » participe à cette ambiguïté, puisque les paroles prennent la forme d’une déclaration d’amour dont le destinataire est genré au masculin, ce qui brouille l’identification d’ELOI comme artiste lesbienne.

Une dernière définition du tube queer serait celle d’un tube mainstream que les subjectivités queer réinterprètent et s’approprient, en jouant de connotations qui favorisent l’identification et la reconnaissance. Le tube commercial devient alors un hymne émancipateur et communautaire. Toute une partie de la culture queer s’est ainsi construite sur une appropriation de la culture populaire, interprétée et décodée comme queer[19]. On peut noter à cet égard qu’ELOI est très vite sortie du seul champ de la musique queer, identifiée par une presse culturelle généraliste comme un « espoir français »[20] ou « la chanteuse que tout le monde écoutera »[21]. Le public queer est réduit à la portion congrue d’un public plus mainstream qui l’adopte à son tour. Dans cette presse qui l’encense, « jtm de ouf » trouve une place privilégiée, partout cité et commenté. C’est que la chanson déborde le cadre confidentiel queer, en mariant l’électro-rave à un autre univers musical, plus adolescent et populaire. En effet, « jtm de ouf » n’est pas un titre original, mais une reprise (« cover »). La version originale, orthographiée « Je t’aime de ouf », est un titre de la chanteuse Wejdene, morceau R&B aux accents pop. Ce titre a fait l’objet d’une large diffusion, dispose d’un clip vidéo[22] et est l’un des plus écoutés de la chanteuse. En recourant au geste de la cover, ELOI vient concrétiser la manière dont l’expérience queer est faite d’identifications et d’appropriations de musiques populaires cis- et hétéronormées. ELOI transforme ainsi un processus de réception en geste de (re)création, dans une opération de désidentification, concept important de la pensée queer.

 

Wejdene, « Je t’aime de ouf »
Album 16 ou pas (réédition de l’album 16)
Universal Music Division Caroline, 2021
Clip réalisé par S7venEyes

 

Porté sur le plateau de Pour un temps sois peu, « jtm de ouf » peut donc être reconnu par un public familier de Wejdene sans connaître ELOI, surtout lorsque le spectacle sera repris dans des cadres moins confidentiels que celui de Belleville, comme au Théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine le 30 novembre 2023, où le public scolaire est nombreux[23]. Ce public identifie le morceau comme une réécriture remixée du tube original, distancié par le « sceau du bizarre »[24]. Il entend moins un tube queer qu’un tube potentiellement queerisé, sorti de ses habitudes de réception, de sa normalité. L’accès au tube se fait au prisme d’une voix queer et invite les spectateur·rices straight à décentrer leur écoute. En faisant entendre une subjectivité queer dans une chanson d’amour hétérosexuelle, cette reprise musicale invite alors à déconstruire les stéréotypes hétéronormés qui la parsèment : le « prince dans le château », le combat guerrier (« tu te mets direct au front »), les amoureux seuls face au reste du monde (« les jaloux sont sur nos côtes »)… Il n’est cependant pas question de tourner en ridicule ces clichés, ou de seulement en critiquer la normativité, mais aussi de s’en attendrir. Nous pouvons ressentir la façon dont le vécu minoritaire queer affronte les normes amoureuses cishétéropatriarcales, à la fois obstacles au bonheur et fantasmes persistants. Car l’irruption de ce tube sentimental se fait au moment du spectacle où Laurène Marx décrit les renoncements amoureux des femmes trans et l’acceptation progressive d’être ce qu’on attend d’elles, des objets de fantasmes, des « chimère[s] » pour des « pervers » rêveurs, habités de « nostalgie romantique »[25]. La musique est lancée juste après ce conseil ironique : « La leçon de ce soir est : sois ce que les autres veulent que tu sois. »[26] La rupture soudaine de la musique, qui brise le cadre structurant du spectacle, a ainsi comme effet de refléter la violence de cette imposition de la normativité straight à la subjectivité queer. Néanmoins, elle procure paradoxalement et simultanément un sentiment libérateur, presque cathartique, vis-à-vis de ces normes romantiques cishétéropatriarcales.

Cette traversée du tube queer par Laurène Marx célèbre donc une forme de proximité entre l’artiste de théâtre et l’artiste musical, de reconnaissance d’un même milieu et d’une même sensibilité, prompte à s’approprier la pop straight pour la chanter ou la danser. En dansant sur ce qui est déjà une reprise queerisée du tube, Laurène Marx opère en quelque sorte une queerisation au carré. On ne peut également s’empêcher de penser, en suivant l’évolution du contexte du spectacle, que le parcours de Laurène Marx est d’une certaine manière similaire à celui d’ELOI : d’un premier entre-soi queer, le spectacle est devenu de plus en plus visible et est programmé par des salles de plus en plus prestigieuses, du Théâtre de Belleville et du 11 à Avignon, salles de « repérage » d’artistes émergent·es, aux théâtres Jean Vilar de Vitry-sur-Seine et Paris-Villette, dont la jauge et la reconnaissance institutionnelle sont plus grandes. On peut rappeler aussi que le texte et son autrice avaient été une première fois mis·es en lumière par plusieurs médias, lorsqu’une précédente mise en scène dans laquelle jouait une actrice cisgenre avait été fortement critiquée par des collectifs queer avant d’être déprogrammée[27]. Ce premier parfum polémique puis son succès fulgurant font ressembler le spectacle à un tube, dont le décollage doit beaucoup à un premier public d’adeptes avant d’acquérir ensuite une large popularité. Mais on comprend bien qu’il n’a renoncé en rien à son effet initial : réchauffer le cœur queer.

 

Pour un temps sois peu
Texte et interprétation de Laurène Marx, mise en scène de Fanny Sintès
Création par la Cie Je t’accapare le 9 novembre 2022 au Théâtre de Belleville
© Pauline Le Goff

 

Déjouer l’élitisme, assumer le populaire :
briser les normes grâce au tube

 

En prenant l’exemple de mon expérience à Belleville, on peut relever la manière dont le tube permet de changer le rapport subjectif à l’inclusion ou à l’exclusion dans le spectacle. Le tube hiérarchise ses auditeur·rices et son irruption sur scène divise les spectateur·rices en catégories qui vont du·de la groupie à l’ingénu·e. Dans le cas de « jtm de ouf », le public qui suit l’actualité musicale à travers Libération, Les Inrocks ou Télérama, le public au fait des codes de la musique électronique ou bien le public plus proche du R&B de Wejdene peuvent se sentir en terrain familier, tout autant que le public queer. Le sentiment d’inclusion passe par différents biais, sans élire ou mépriser un public davantage qu’un autre. Alors que la presse a tendance à dévaluer Wejdene, « chanteuse R’n’B préférée des préadolescentes en mal d’émoustillements »[28], et à interpréter comme ironique le choix d’ELOI de reprendre « Je t’aime de ouf », qualifiée de « bluette sentimentale »[29], la chanteuse queer défend une affection sincère pour la chanson :

Je l’écoutais à un moment où j’étais tombée amoureuse. Elle a un truc pop super-marrant avec des paroles super-émotives mais deep, et une portée universelle, intergénérationnelle. Même si je l’étais déjà, ça m’a décomplexée sur le fait de ne pas me refuser d’être emo dans ma manière de raconter des histoires[30].

En exprimant sa gratitude vis-à-vis de Wejdene, ELOI refuse l’élitisme d’un bon goût musical qui la distinguerait de sa consœur. Elles ont d’ailleurs plusieurs points communs, une posture d’autodidacte malgré des parents qui travaillent dans la musique, le choix de collaborer avec des labels indépendants, ou leur jeune âge. Mais leur identité d’artiste est présentée de manière opposée dans les médias : Wejdene, à qui la presse culturelle comme Télérama, Libération ou Les Inrocks n’accorde jamais d’article uniquement dédié à elle, est davantage perçue comme une « stratège »[31] qui sait comment générer de l’audience et de l’argent, alors qu’ELOI est présentée comme une artiste, en insistant souvent sur son passage par les Beaux-Arts. Ainsi défendre une artiste comme Wejdene de la part d’ELOI n’a rien d’anodin. Cette sororité revendiquée avec sa musique rejette les classements normatifs et binaires qui les opposent (artiste commerciale/artiste engagée ; musique grand public/musique d’avant-garde…).

Ce rejet n’est pas sans résonner avec le refus de l’élitisme revendiqué par Laurène Marx pour son spectacle. La note d’intention stipule ainsi : « Dans un souci d’accessibilité et de pédagogie nous avons à cœur que le spectacle soit non élitiste autant dans sa forme que dans son fond et qu’il puisse être accueilli dans le plus d’endroits possibles. »[32] « Stand-up triste », Pour un temps sois peu se définit à partir d’une forme populaire adaptable et accessible, tout en la réinventant, ce que suggère l’oxymore. Le micro sur pied au centre de la scène et la bouteille d’eau qui le jouxte renvoient aux codes du stand-up, tout comme les nombreuses interactions improvisées avec le public. Le récit met en scène des moments du quotidien (courses, toilettes, apéritif…), autre caractéristique du stand-up, qui jalonnent la narration au fur et à mesure que se déroule le fil rouge du parcours de transition de genre. En outre, les références convoquées par Laurène Marx sont volontairement populaires : les dessins animés Disney tels que La Belle et la bête ou La Petite Sirène, la saga Harry Potter dont la transphobie de son autrice est dénoncée et ridiculisée, le film Le Choc des Titans[33]… Enfin la langue adoptée, « trash » et « violente », est familière et accessible malgré son inventivité, travaillée dans l’optique d’une « proximité » et d’un « réalisme de la parole »[34], comme l’illustrent l’usage du tutoiement et l’autodérision omniprésente. Lors des représentations, Laurène Marx accentue cette proximité en ponctuant certains passages de l’apostrophe familière « frère » ou « mon reuf ».

Ce registre de langue épouse celui de « jtm de ouf », rendant son insertion d’autant plus symbiotique. Même si l’on ne connaît ni Wejdene ni ELOI, les paroles de cette « bluette » sont imprégnées de cette sensibilité universelle de la pop, cette « banalité interchangeable »[35], qui touche chacun·e dans son intimité, déclenchant immédiatement notre identification à ce qu’il exprime. Le vocabulaire et les images de « Je t’aime de ouf » sont très simples : « Même le matin, t’es beau, j’ai rêvé que de toi », « Dans mon cœur, y a que toi, y a d’la place pour aucun autre », « L’amour, c’est compliqué, les sentiments sont profonds ». Le titre et refrain emploient une expression populaire, qui plus est en verlan (« de ouf »). Wejdene est d’ailleurs souvent raillée pour la simplicité voire l’incorrection de sa langue, qu’ELOI vient redoubler et célébrer en réécrivant le titre en écriture SMS, « jtm ». Ce parler argotique, populaire, associé à la jeunesse et dont l’inventivité est méprisée[36], partagé entre Laurène Marx et les deux chanteuses, s’affiche comme provocateur voire subversif dans son dédain d’une certaine normativité linguistique. L’irruption de « jtm de ouf » dans le spectacle est en conséquence une revendication de liberté. En insérant un tube qui déroge aux normes dominantes musicales et linguistiques, cette irruption traduit aussi un désir de s’émanciper d’une certaine normativité théâtrale. Peu importe que le spectacle soit presque fini, il est encore temps de briser ses codes pour introduire une performance chorégraphique, avec des lumières qui tout à coup clignotent et viennent éclairer de différentes couleurs le plateau et le public. Peu importe que la musique qui porte cette danse ne soit pas si connue, elle est affirmée et haussée au rang de tube, ne serait-ce que par la place particulière qu’elle occupe, mise en valeur par la rupture qu’elle instaure dans le spectacle qui ne comporte aucun autre insert sonore, et le temps de suspens spécifique qui lui est dédié. Et enfin, peu importe que cette chanson apparaisse mièvre et sentimentale, elle est aussi politique et militante. Même s’il ne s’agit pas d’effacer les spécificités de l’expérience queer ou trans, Pour un temps sois peu paraît comme ELOI confirmer ainsi son intention de s’adresser à « un large public »[37] et non uniquement à « la minorité », qu’elle se définisse numériquement ou politiquement :

Ici on se retrouve face à une évidence : la minorité peut remettre en question les certitudes de la majorité. Ce n’est pas le nombre de personnes qui portent le sujet qui en fait la pertinence ou la puissance. L’existence des femmes trans interroge de façon douloureuse le bien fondé des différentes assignations, qu’elles soient de genre, de sexe ou de classe[38].

Pour un temps sois peu
Texte et interprétation de Laurène Marx, mise en scène de Fanny Sintès
Création par la Cie Je t’accapare le 9 novembre 2022 au Théâtre de Belleville
© Pauline Le Goff

 

« C’est bientôt fini. »
Donner voix à la mélancolie queer

 

La chanson d’ELOI n’est pas choisie que pour sa langue, mais aussi pour son sentimentalisme auquel la chanteuse s’identifie en le qualifiant d’« emo », terme qu’elle définit ainsi :

Sentimentalisme un peu exacerbé, dramatisation des états d’âme, romantisation de la tristesse, de la souffrance… C’est une esthétique qui me fait sourire mais qui, en même temps, m’intéresse beaucoup. Une rencontre entre la brutalité anar du punk et l’acceptation de sa propre vulnérabilité[39]

L’irruption de la chanson dans le spectacle invite à déconstruire le discours amoureux, par un double geste d’identification et de mise à distance. Le « je t’aime » du refrain, adossé au mythème sentimental de la folie (« de ouf »), dont la réduction aux trois syllabes du « jtm » souligne encore davantage son caractère d’« holophrase »[40], et répété à l’envi sur un rythme mélodique effréné – encore plus dans la version d’ELOI – ne sont pas non plus sans rappeler la « loquèle » barthésienne, ce ressassement langagier à mettre en mots son amour, dans une version plus positive cependant de cette « forme emphatique du “discourir” amoureux » [41]. Barthes assimile d’ailleurs la jouissance à dire « je t’aime » à une profération musicale, un chant[42].

Au moment où elle est insérée dans Pour un temps sois peu, cette profération musicale prend cependant des allures d’auto-conviction, puisque c’est l’amour d’hommes fétichisant les femmes trans et les réduisant à un fantasme qui fait surgir la chanson. Laurène Marx profite des moments instrumentaux pour revenir deux fois au micro et continuer sur la mélodie le récit de son histoire avec un « sugar daddy » obsédé par une femme trans depuis son enfance. Dans sa première intervention sur la musique, dans un rythme précipité, elle évoque la demande en mariage de cet homme, condition à son soutien au financement d’une opération de vaginoplastie : « Il dit qu’il veut bien se porter garant pour toi, pour un prêt pour payer une partie de l’opération. Si vous vous mariez. Il est un peu vieux jeu. […] Il voudrait aller à l’église. Tu sais pas si c’est touchant ou si c’est flippant. »[43] Cet amour, fait de pressions et de chantages, est bien moins romantique et idéal que celui décrit dans la chanson. Les deux adjectifs « touchant » et « flippant » sont répétés en rythme sur la musique jusqu’à l’ultime reprise du refrain par ELOI. Cette alternance entre l’attendrissement et la peur vient achever de mettre à distance le sentimentalisme straight et ses clichés. Le « touchant » indique bien qu’il n’y a pas suppression absolue de la tendresse éprouvée face à ce sentimentalisme, mais le « flippant » souligne que cette tendresse n’est pas naïve. Ce « je t’aime » est un acte de langage qui fait de l’autre, l’homme cisgenre et hétérosexuel, un partenaire sentimental autant qu’un adversaire politique.

La deuxième intervention parlée sur la musique, lors de l’instrumentation finale, clôt l’insert musical sur quelques mots de soin et de réconfort : « Respire. Respire. C’est bientôt fini. »[44] Pendant les dernières minutes du spectacle, le tube encore en tête, ce « C’est bientôt fini » fait résonner en nous une mélancolie profonde. Le tube nous a procuré cette émotion qu’il est si habile à produire, la mélancolie de lui-même, du temps que nous avons passé avec lui, cohabitant avec une mélancolie amoureuse. « On n’a pas besoin de savoir pour qui sont écrites les chansons d’amour pour se mettre dans un état amoureux », écrit Richard Mèmeteau[45]. Mais amoureux de qui ? L’irruption de cette chanson est comme trop tardive par rapport au véritable enchantement d’une histoire d’amour avec une « petite gouine » racontée plus tôt par Laurène Marx, et qui lui revient justement en tête alors qu’elle est avec le « sugar daddy » : « Ta petite gouine te manque mais tu ne vas pas l’appeler. Elle ne peut pas t’aider, elle ne peut que t’aimer. Et tu as besoin d’argent, pas d’amour. »[46] Mélancolie musicale[47] et mélancolie queer s’entremêlent alors. En effet, la mélancolie, si elle est typique de l’expérience du tube, est aussi l’une des émotions dominantes de l’expérience queer, telle que l’a théorisée par exemple Judith Butler[48]. Le tube, ouvrant un solo chorégraphique et suspendant ainsi le caractère interactif du spectacle, vient rabattre sa solitude sur le sujet queer. Le souvenir de l’ancien amour, précieux refuge[49] momentané auquel il a fallu renoncer, vient hanter la scène.

« C’est bientôt fini. » Si cette phrase indique que le récit du parcours de transition est en passe de s’achever, elle prépare aussi notre adieu au tube, dans une réflexivité discursive qui lui est propre[50]. Ce qui va finir, c’est aussi cet éphémère morceau d’un peu plus de trois minutes, qu’il faudra se résoudre à entendre s’éteindre. Cette rupture dramaturgique de l’intermède musical à quelques minutes de la fin du spectacle rappelle par sa puissance le « bouleversement » de l’irruption « sans sommation » de la musique de Massive Attack dans la mise en scène de Patrice Chéreau de Dans la solitude des champs de coton. Anne-Françoise Benhamou le décrivait alors comme « une ligne de faille », un moment où le public est « si désespérément avec » le Client et le Dealer, « presque en eux » et qui « lest[e] d’un poids de deuil et de mélancolie profonde » le reste du spectacle[51]. En entendant la voix d’ELOI reprendre les paroles de Wejdene, et en observant Laurène Marx danser sur la musique, nous accédons à une forme d’« intimité rêvée »[52] queer. La fin mélancolique de l’irruption du tube anticipe alors ce qui finira bientôt juste après lui : le spectacle, et avec lui cette voix qui le soutient de part en part. Cette voix à laquelle il faut renoncer rappelle la glottoplastie, opération des cordes vocales décrite plus tôt, qui « fait une voix de Mickey mais c’est plus féminin que ton timbre de travelote »[53]. La suite précise : « ça peut péter, tu pourras plus chanter, plus crier non plus mais ça va, ça fait des années que tu t’entraînes à crier en silence. »[54] Laurène Marx compare alors les femmes trans à l’héroïne de La Petite Sirène qui doit renoncer à sa voix pour devenir femme, une voix qu’elle souhaitait dédier au chant. « Mais non, affirme Laurène Marx, j’aime bien ma voix. »[55] Cette voix précise, acerbe, tendre, cette voix de narratrice, d’humoriste, de militante et d’amoureuse, qui nous habite pendant deux heures ou plus, qui nous hante comme un tube, il faut nous résoudre à la quitter là aussi.

Mais parallèlement, et paradoxalement, cette mélancolie du tube vient aussi briser la solitude en faisant surgir une autre voix que celle de Laurène Marx pour la première fois dans le spectacle. L’irruption du tube met en scène la rencontre de deux voix queer et proposer une nouvelle équation amoureuse, en dehors de la norme straight, une tendresse queer sans fantasmes fétichisants et déshumanisants, une adelphité douce et peut-être réparatrice. Ce faisant, notre écoute simultanée du tube avec Laurène Marx lie aussi adelphiquement notre subjectivité à la sienne, nous offrant l’opportunité d’accéder à la « bande-son de [sa] vie »[56]. Le tube nous plonge dans son intimité, mais crée aussi une bulle collective, une nostalgique « boum »[57] queer. À cet égard, on peut remarquer qu’ELOI a effectué une légère coupe, presque anecdotique, dans le texte de Wejdene supprimant notamment le passage suivant : « J’ai hâte de notre mariage, nos parents dans le cortège. » Cette disparition du « mariage » et des « parents dans le cortège » appelle-t-elle l’auditoire du tube et le public du spectacle à fonder une nouvelle famille queer reposant davantage sur l’adelphité que sur la filiation et le couple ?

 

***

 

En juin 2023 à Avignon, j’assiste pour la deuxième fois au spectacle, programmé par le Théâtre 11 dans la cour du lycée Mistral. Accompagné de l’ami qui m’a fait découvrir ELOI et sa chanson, au milieu d’un public déjà plus straight qu’à Belleville, je guette le moment où les premières notes de « jtm de ouf » retentiront. Lorsque l’irruption se produit, un certain nombre de spectateur·rices tournent la tête pour constater que le public queer – dont mon ami et moi – s’est mis à fredonner les paroles et à partager quelques regards et sourires entendus. La famille d’adelphes queer disséminée dans le public devient visible : « c’est notre tube », semble-t-elle proclamer. Grâce à ses paroles banales, le tube dit la vie et les sentiments individuels de chacun·e, tout en faisant vibrer ensemble une communauté minorisée. L’expérience est d’autant plus touchante que mon ami a été scolarisé au lycée Mistral, si bien que notre communion musicale dans cette cour pourrait être un chant d’amour pour l’adolescent queer qu’il était alors, dans un mélange d’empouvoirement et de mélancolie. C’est peut-être cette sensation qui m’a fait retourner cet hiver encore à deux autres représentations du spectacle, comme une obsession amoureuse, cette façon que Pour un temps sois peu a de m’atteindre à la façon d’un « hit »[58] et de m’emporter[59], de faire entendre les notes grinçantes de la cishétéronormativité tout en berçant ma subjectivité queer de ses accords mélancoliques.

 

Notes

[1] Pour un temps sois peu, spectacle créé par la compagnie Je t’accapare le 9 nov. 2022 au Théâtre de Belleville. Texte et interprétation de Laurène Marx, mise en scène de Fanny Sintès, lumières de Solange Dinand,

[2] Laurène Marx, Pour un temps sois peu, Montreuil, Éditions théâtrales, 2021.

[3] La deuxième personne du singulier est utilisée dès la première phrase : « Ça marche pas exactement comme tu as pu te dire que ça marchait » (ibid., p. 11).

[4] Le terme de « copine » utilisé dans le texte est souvent remplacé par celui de « sœur » dans le spectacle, au fil duquel le texte est largement modifié. Cette métaphore familiale de la sororité ou de l’adelphité est très répandue dans les milieux féministes et queer, comme en témoigne le récent appel à contribution de la revue Savoirs en lien de l’Université de Bourgogne, « Sororités : concept, représentations, créations, réceptions ».

[5] Ce redoublement du verbe « comprendre », explicité dans un préambule terminologique propre au spectacle, sert à distinguer une compréhension sensible acquise par l’expérience, dans sa « chair » et son « sang », de la compréhension intellectuelle et abstraite.

[6] Peter Szendy, Tubes : la philosophie dans le juke-box, Paris, Minuit, 2008. Voir notamment p. 155 et 157.

[7] Voir Pierre Niedergang, Vers la normativité queer, Toulouse, Blast, 2023, p. 28-29.

[8] Themis Boudraham-Belkhadra, « Eloi, l’artiste queer qui revisite Wejdene façon rave emo », Têtu, 26 avril 2022.

[9] ELOI, « “La tête dans le caisson, le cœur plein de questions” : rencontre avec ELOI », entretien réalisé par Leslie Préel, Friction Magazine, 1er juin 2022.

[10] Emmanuel Grynzspan rappelle ainsi que le premier club à avoir diffusé de la musique techno à Paris est un club gay, le Boy. Voir Emmanuel Grynzspan, Bruyante techno : réflexion sur le son de la free party, Guichen, Éditions Mélanie Seteun, 1999. Le livre a fait l’objet d’une publication numérique le 12 septembre 2019 sur la plateforme OpenEditions Books.

[11] ELOI, « “La tête dans le caisson, le cœur plein de questions” », art. cité.

[12] Voir ELOI citée dans Stéphane Davet, « “Dernier Orage”, la houle sentimentale de la chanteuse Eloi », Le Monde, 10 nov. 2023 : « J’ai quasiment fait un transfert sur Rebeka, reconnaît la chanteuse. Son côté grande gueule, sans limite, totalement cash, m’a beaucoup marquée, tout comme sa parole lesbienne à un moment où je m’avouais à peine mon homosexualité. »

[13] ELOI, « “La tête dans le caisson, le cœur plein de questions” », art. cité.

[14] Marie Klock, « Eloi : “J’ai cherché à devenir cool de façon un peu chaotique” », Libération, 5 nov. 2023.

[15] Voir ELOI, cité dans Fabrice Pliskin, « “Dernier Orage” : Eloi met ses émois en musique », L’Obs, 4 nov. 2023 : « Queer ? “Ben je suis lesbienne, quoi.” »

[16] ELOI, « “La tête dans le caisson, le cœur plein de questions” », art. cité.

[17] Themis Boudraham-Belkhadra, « Eloi, l’artiste queer qui revisite Wejdene façon rave emo », art. cité.

[18] ELOI, « “La tête dans le caisson, le cœur plein de questions” », art. cité.

[19] Voir David Halperin, L’Art d’être gai, trad. Marie Ymonet, Paris, EPEL, 2015, p. 179 : « Ces projets de création d’un monde queer, dans lequel les gais perdent leur identité homosexuelle singulière en s’immergeant dans la culture hétérosexuelle dont ils préfèrent la bizarrerie à la leur, ont pour résultat que beaucoup de formes non gaies le deviennent au point de fonctionner comme des symboles largement reconnus de follitude. C’est ainsi que des éléments qui à l’origine n’étaient pas gais et le sont devenus finissent par fournir un raccourci pour désigner la culture gaie elle-même, comme le montre le destin de Broadway ou de la techno. »

[20] Erwan Perron, « Eloi, l’espoir français de la nouvelle scène hyperpop », Télérama, 15 sept. 2023.

[21] Lolita Mang, « ELOI, la chanteuse que tout le monde écoutera en 2024 », Vogue, 26 oct. 2023.

[22] « Je t’aime de ouf », clip réalisé par S7venEyes, musique et interprétation de Wejdene, Guette Music/Virgin Music, 2021.

[23] Wejdene est très populaire auprès d’un public adolescent, du fait qu’elle se soit fait d’abord connaître sur des réseaux sociaux tel que TikTok avec son premier titre « Anissa ».

[24] Bertolt Brecht, Petit Organon pour le théâtre, trad. Jean Tailleur, Paris, L’Arche, 1970, p. 58.

[25] Laurène Marx, Pour un temps sois peu, op. cit., p. 42-44.

[26] Ibid., p. 44.

[27] Joëlle Gayot, « Annulation de la pièce “Pour un temps sois peu” : faut-il être trans pour jouer un personnage trans ? », Télérama, 6 déc. 2022. Voir aussi le communiqué du collectif La Petite, qui répertorie les articles de presse et prises de position de différent·es militant·es et artistes. La Petite, « Communiqué – “Pour un temps sois peu” », 15 déc. 2022.

[28] Erwan Perron, « Eloi, l’espoir français de la nouvelle scène hyperpop », art. cité.

[29] Themis Boudraham-Belkhadra, « Eloi, l’artiste queer qui revisite Wejdene façon rave emo », art. cité.

[30] Théo Dubreuil, « Éloi balaye tout sur son passage avec le radical “Dernier Orage” », Les Inrocks, 25 oct. 2023.

[31] « Qui est Wejdene, l’ado préférée des ados ? » [s. a.], Le Figaro, 25 sept. 2020.

[32] Laurène Marx et Fanny Sintès, Note d’intention du spectacle en ligne sur le site du Théâtre de Belleville.

[33] Cette référence, contrairement aux précédentes, figure déjà dans le texte publié. Laurène Marx, Pour un temps sois peu, op. cit., p. 34.

[34] Laurène Marx et Fanny Sintès, Note d’intention du spectacle en ligne sur le site du Théâtre de Belleville.

[35] Peter Szendy, Tubes, op. cit., p. 59.

[36] Alexandra Dumont, « Aya Nakamura, Wejdene, Lyna Mahyem… Ces artistes R&B qui réinventent la langue française », Les Inrocks, 18 déc. 2020.

[37] ELOI, « “La tête dans le caisson, le cœur plein de questions” : rencontre avec ELOI », art. cité : « Ce qui m’intéresse, c’est de voir à quel point, au final ça part dans tous les sens mais c’est de la pop quoi, une musique accessible à un large public. »

[38] Laurène Marx et Fanny Sintès, Note d’intention du spectacle en ligne sur le site du Théâtre de Belleville.

[39] ELOI, cité dans Fabrice Pliskin, « “Dernier Orage” : Eloi met ses émois en musique », art. cité.

[40] Roland Barthes, Fragments d’un discours amoureux, Paris, Points, coll. Essais, [1977] 2020, p. 207 : « Je-t-aime n’est pas une phrase : il ne transmet pas de sens, mais s’accroche à une situation limite : “celle où le sujet est suspendu dans un rapport spéculaire à l’autre”. C’est une holophrase. »

[41] Ibid., p. 223.

[42] Ibid., p. 208 : « je-t-aime ne relève ni de la linguistique ni de la sémiologie. Son instance (ce à partir de quoi on peut le parler) serait plutôt la Musique. À l’instar de ce qui se passe avec le chant, dans la profération de je-t-aime, le désir n’est ni refoulé (comme dans l’énoncé) ni reconnu (là où on ne l’attendait pas : comme dans l’énonciation), mais simplement : joui. »

[43] Laurène Marx, Pour un temps sois peu, op. cit., p. 44-45.

[44] Ibid., p. 45.

[45] Richard Mèmeteau, Pop culture, Paris, La Découverte, [2014] 2019, p. 302.

[46] Laurène Marx, Pour un temps sois peu, op. cit., p. 44.

[47] La musique d’ELOI est définie à partir de la mélancolie par la chanteuse elle-même, qui a intitulé son premier EP « Acedia », nom donné à la mélancolie au Moyen-Âge, alors considérée comme un péché. Voir Jean Starobinski, L’Encre de la mélancolie, Paris, Seuil, 2012, p. 53-54. Starobinski développe les relations entre musique et mélancolie dans l’histoire culturelle p. 120-133.

[48] Judith Butler, La Vie psychique du pouvoir, trad. Brice Matthieussent, Paris, Léo Scheer, 2002.

[49] Laurène Marx, Pour un temps sois peu, op. cit., p. 36 : « personne peut vous atteindre, y a un espace vague entre vos bras où la destruction n’a pas lieu, pas lieu d’être. »

[50] Peter Szendy, Tubes, op. cit., p. 29 : « [Les tubes] parlent d’eux-mêmes, de leur économie et de leur banalité, voire des fantasmes ou fantasmagories identificatoires qu’ils suscitent en tant que marchandises. »

[51] Anne-Françoise Benhamou, « Quatre bouleversements », dans Patrice Chéreau. Figurer le réel, Besançon, Les Solitaires Intempestifs, 2015, p. 68-69.

[52] Ibid., p. 69.

[53] Laurène Marx, Pour un temps sois peu, op. cit., p. 29.

[54] Ibid.

[55] Propos ajouté dans le spectacle. Je m’appuie ici sur la représentation du 30 janvier 2024 au Théâtre Paris-Villette.

[56] Ce paradigme pop de la « bande-son de ta vie » [« soundtrack of your life »] est par exemple rappelé et décrit par David Roesner dans Musicality in Theatre : « Avec la radio, les walkmans, et maintenant les lecteurs MP3, la musique est devenue le compagnon omniprésent et de plus en plus personnel de nos vies. La musique n’évoque plus aussi automatiquement le moment de sa production (live ou en concert), mais le voyage, les ami·es, la vie privée ou des moments historiques, la pratique sportive, les programmes de télévision, etc. » David Roesner, Musicality in Theatre: music as model, method and metaphor in theatre-making, Farnham/Burlington, Ashgate, 2014, p. 222. (Ma traduction.) Peter Szendy évoque aussi l’expression : Peter Szendy, Tubes, op. cit., p. 11-12.

[57] Ce terme forgé dans les années 1950 désignant une fête adolescente dans les milieux plutôt populaires connaît un regain de popularité dans les milieux queer et féministes ces dernières années.

[58] Jouant sur le sens du verbe anglais à l’origine de l’expression, Richard Mèmeteau commente : « Le tube est conçu pour percer la carapace d’indifférence des badauds qui l’entourent […]. Ce sont des projectiles dont le fuselage sonore doit garantir un certain degré de pénétration des esprits, des oreilles, des systèmes limbiques, des os et des tripes. » Richard Mèmeteau, Pop culture, op. cit., p. 301.

[59] Ibid., p. 303 : « Le tube fonctionne donc en deux temps, il nous atteint puis nous emporte. »

 

L’auteur

Ulysse Caillon est maître de conférences en arts de la scène à l’Université Bordeaux Montaigne. Docteur en études théâtrales de l’Université Lyon 2, il a rédigé une thèse intitulée Affronter l’intime. De l’expression à l’inexpression de soi dans les théâtres de Pippo Delbono et Angélica Liddell, sous la direction d’Olivier Neveux. Ses intérêts de recherche portent sur le théâtre contemporain européen, notamment sur les théâtralités autobiographiques et les théâtralités queer. Il est également membre du collectif de création L’Inverso, dans lequel il joue et écrit, et accompagne Marie Astier pour la création et les représentations de Chronique(s). Depuis septembre 2023, il enseigne la littérature et le théâtre en lycée à Ivry-sur-Seine.

 

Pour citer ce document

Ulysse Caillon, « Lettre d’amour à nos adelphes. Passer le mur de la cishétéronormativité par l’irruption du tube queer. ‘‘jtm de ouf’’ dans Pour un temps sois peu de Laurène Marx », thaêtre [en ligne], Chantier #9 : Tubes en scène ! L’irruption du tube sur les scènes théâtrales contemporaines (coord. Agnès Curel, Corinne François-Denève et Floriane Toussaint), mis en ligne le 15 janvier 2025.

URL : https://www.thaetre.com/2025/01/15/lettre-damour-a-nos-adelphes/

 

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Lettre d’amour à nos adelphes

 

 

 

 

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