« Le théâtre est l’un des lieux
où s’est réfugié aujourd’hui
le savoir du corps que nous avions oublié. »
Valère Novarina, Lumières du corps, Paris, P.O.L., 2006, p. 16
Le spectacle MDLSX de la Compagnie italienne Motus est créé en 2015 et sa présentation au Festival de Sant’Arcangelo (Italie) consacre le spectacle comme devant devenir l’un des plus célèbres du répertoire de la compagnie italienne à l’échelle internationale[1]. Un succès qui se reflète également dans la durée exceptionnelle de son exploitation, puisque le spectacle continue à être à l’affiche neuf ans plus tard. Celui-ci s’inscrit dans un parcours de recherche esthétique et thématique que la compagnie poursuit depuis plusieurs années, visant à explorer la notion de frontière, tant sur le plan géographique, qu’humain ou politique. MDLSX est une performance solo jouée par l’actrice icone de la compagnie, Silvia Calderoni, qui performe dans toutes les créations[2]. L’actrice prête son corps androgyne à l’histoire de Calliope, personnage du livre lauréat du Prix Pullitzer 2003, Middlesex, de l’écrivain américain Jeffrey Eugenides[3]. Le spectacle, adaptation du roman, narre la vie d’une jeune fille, Calliope, qui pendant sa puberté développe un corps hors normes, médicalement défini comme intersexe. L’histoire se fonde sur l’analyse du contexte social, des relations avec la famille, du processus médical, tout en gardant la perspective de Calliope et en narrant sa vie émotionnelle et son processus d’acceptation et de revendication de son état de sujet intersexe.
Par rapport aux spectacles précédents de la compagnie, MDLSX se distingue par la présence prépondérante des éléments musicaux et des tubes dans la composition esthétique. En effet, la compagnie Motus, formée par Daniela Nicolò, dramaturge, et Enrico Casagrande en charge de la mise en scène et de la vidéo, décrit la pièce comme :
Une bombe sonore, un hymne hallucinatoire et solitaire à la liberté de devenir, au gender b(l)ending, à être autre au-delà des limites du corps, de la couleur de la peau, de la nationalité imposée, de la territorialité forcée, de l’appartenance à une patrie[4].
La « bombe sonore » repose sur une playlist composée de vingt-trois pistes enregistrées[5], issues d’un ensemble hétéroclite de chansons et de repères culturels provenant de différentes époques et pays. Trois langues sont concernées : l’italien, l’anglais et le français. Le choix musical emprunte à la musique pop et au rock, ainsi qu’à l’indie et au pop-rock. Certaines chansons sont très célèbres et ont marqué une époque, ce qui les classe dans la catégorie des tubes, comme le rappelle Peter Szendy[6], tandis que d’autres sont moins connues et renvoient plutôt à l’univers underground, mobilisant la question de l’appartenance à une sous-communauté. La pièce est constituée d’un montage de chansons se succédant, s’entrelaçant avec l’action performative de Silvia Calderoni, imprimant ainsi un rythme ondulatoire à la performance. Les chansons s’insèrent dans la construction narrative de la pièce, qui est bâtie autour du monologue de la protagoniste Calliope, ainsi qu’autour des éléments scéniques de la vidéo et de la corporéité de la performeuse. Plusieurs captations vidéo proviennent soit de la mémoire familiale privée de la performeuse elle-même, soit sont des extraits du répertoire de la compagnie.
Dans l’étude qui suit, nous comptons interroger les tubes du spectacle, pour montrer comment ils sont mis en scène et dans quelle mesure ils agissent sur la composition dramaturgique et narratologique de la pièce. Nous souhaitons tout d’abord interroger la manière dont les tubes deviennent signes d’un espace-temps et d’une culture d’appartenance, dès le moment où le spectacle convoque différentes époques, en marquant les aspects de la narration biographique de la protagoniste et en créant un voyage musical transgénérationnel. Ensuite, nous interrogerons comment les tubes font eux-mêmes partie de la dramaturgie, de manière dialogique, et comment ils mobilisent les émotions, en retravaillant la relation entre parole et langage. Enfin, nous nous demanderons comment les tubes retravaillent la réception de la pièce en permettant d’instaurer une relation entre l’histoire narrée et les spectateur·rices, afin de rendre lisible un sujet méconnu de la majorité du public. La multitude des signes et l’hybridation entre les différents éléments utilisés par Motus créent un effet de déplacement entre les éléments, invoquant ainsi plusieurs niveaux de lecture. La question identitaire demeure fondamentale dans la narration de la pièce, et les tubes suscitent des questions d’appartenance et de lisibilité, dans un parcours symbolique qui semble à première vue être individuel et lié à l’histoire racontée. Cependant, ce parcours soulève la question de la reconnaissance du sujet au sein de la communauté, remettant en question les normes fondatrices de notre société, ainsi que le regard que le public porte sur autrui.
Playlist complète du spectacle MDLSX de la Compagnie Motus
Titres classés par ordre d’apparition dans le spectacle
MDLSX de la Compagnie Motus
Mise en scène d’Enrico Casagrande et Daniela Nicolò
Avec Silvia Calderoni
Création en 2015
La vie du personnage entre fiction et réalité
Au début de la performance, sur une scène minimaliste plongée dans la pénombre, une captation vidéo est projetée sur un écran rond, montrant une petite fille blonde qui chante un karaoké. Elle chante « C’era un ragazzo come me amava i Beatles e i Rolling Stones », un tube italien des années 1960 interprété par Gianni Morandi. Dans la vidéo, un plan rapproché met en évidence les émotions de la petite fille en captant son visage. Timide, elle chante au milieu du brouhaha ambiant, entre les rires du public et les interventions du présentateur italien en arrière-plan, qui l’encourage à prononcer les paroles et à suivre la partition. Les fausses notes et les hésitations dans les phrases révèlent l’incertitude d’une novice dans l’art du karaoké, tandis que sa voix faible et hésitante, ainsi que sa posture rigide, reflètent son malaise. Un sentiment de tendresse semble émaner du public, qui se sent proche de la vulnérabilité et de la gêne exprimées par la jeune fille.
La vidéo et la chanson sont un préambule à l’entrée en scène de la performeuse Silvia Calderoni. À la fin de la chanson, le son est interrompu, tandis que l’image sur l’écran se fige sur le premier plan montrant le visage de la jeune fille. Calderoni apparaît alors sur scène en dansant sur la chanson « Despair » du groupe américain Yeah Yeah Yeahs. Il est important de noter qu’à partir de ce moment, la plupart des tubes et de la musique utilisés proviennent principalement de la culture nord-américaine ou anglaise. Cette scène marque la première irruption d’un tube musical sur scène. Cet événement suscite la surprise et perturbe les références données au public. La douce mélodie de la chanson italienne est brusquement interrompue par un son rock américain, puissant et rythmé. La performeuse apparaît sur scène, dansant avec une énergie palpitante et instinctive. La présence de Calderoni est forte et marquante, ses mouvements sont dynamiques et son corps est traversé par le rythme effréné de la chanson. Lorsque la performeuse monte sur scène, le public comprend, grâce à une ressemblance frappante, que la petite fille dans la vidéo n’est autre que Silvia Calderoni lorsqu’elle était enfant. La qualité et le format de la vidéo laissent penser qu’il s’agit probablement d’une archive privée de la famille de la protagoniste, un fragment de sa vie réelle. Dans le silence de la salle, les deux visages se retrouvent face à face, sous le regard des spectateur·rices. Cette co-présence crée un effet de miroir, mettant en évidence la distance temporelle entre la jeune fille et la performeuse sur scène, ainsi que son double fictif. Calderoni se déplace sur une scène caractérisée par un décor très minimaliste, maintenu dans la pénombre tout au long du spectacle. Un ordinateur et un micro, ainsi qu’une petite lumière rouge posée sur une longue table, placés au fond de la scène, constituent la scénographie. Cette disposition scénique oblige la performeuse à se positionner souvent de dos par rapport au public et, par conséquent, à lui dissimuler son visage. L’écran rond permet de projeter tant des vidéos enregistrées que l’image directe et simultanée des détails du visage et du corps de l’artiste.
Calderoni prête son corps androgyne et filiforme à l’histoire inspirée par le roman Middlesex de Jeffrey Eugenides. Le livre raconte l’histoire d’une jeune fille, Calliope, d’origine grecque, appartenant à la classe moyenne américaine et résidant à Detroit, une ville en pleine mutation sociale et économique dans les années 1970. Au seuil de la puberté, son corps commence à présenter des signes de développement sexuel non conformes à son identité de genre. Ces transformations corporelles sont vécues comme un trouble sexuel, car elles ne correspondent pas aux normes des caractéristiques sexuelles féminines. Inquiète, sa famille consulte des spécialistes médicaux, qui soumettent le corps de Calliope à des analyses minutieuses, incluant une série d’examens médicaux intrusifs et indélicats. À l’issue de ce processus d’investigations médicales, Calliope est désignée comme intersexe[7]. Le corps de Calliope est jugé inacceptable selon les normes de la culture dominante de l’époque, et le corps médical lui impose une modification chirurgicale afin que son corps devienne conforme à la norme binaire des sexes, c’est-à-dire qu’il soit ou femme, ou homme. L’adolescence de Calliope est en même temps intimement liée aux grands bouleversements et aux fractures sociales caractéristiques de Detroit et des États-Unis à cette époque. La société est divisée entre les forces réactionnaires du post-maccartisme, qui tentent d’imposer des valeurs conservatrices, et l’émergence des mouvements de jeunesse de la contre-culture nord-américaine, avec leurs contestations et revendications pacifistes et leur désir d’émancipation des valeurs bourgeoises.
Le sujet du livre d’Eugenides s’inscrit dans l’histoire littéraire des biographies des corps hors normes, telles que celle d’Herculine Barbin[8], ou en parallèle, dans l’histoire des biographies médicales et théoriques, comme celle de Brenda/Brandon évoquée par Judith Butler[9] ou celle d’Agnès évoquée par Paul B. Preciado[10], et sans doute encore plus récemment dans l’histoire de Cheryl Chase, théoricienne intersexe et activiste nord-américaine[11]. Hébétée et effrayée, Calliope entreprend un voyage, à la fois métaphorique et réel, de prise de conscience de sa condition et de revendication de son identité. Ainsi, Calliope devient Cal et affirme son existence au-delà de la norme binaire imposée par la classe médicale. Sa fuite prend fin lorsqu’une descente de police dans le club où elle travaille à San Francisco l’oblige à retourner sous la garde de sa famille, en raison de son jeune âge.
Motus retravaille la biographie de Calliope sous forme de monologue, narré à la première personne par Silvia Calderoni. Ce monologue se caractérise par une alternance et un mélange de différents registres : il s’agit à la fois d’un journal personnel, d’une confession, d’une réflexion et de fragments théoriques issus des études de genre, avec penseurs et penseuses tel·les que Judith Butler[12], Paul B. Preciado[13], ou encore Donna Haraway[14]. En ce qui concerne Paul B. Preciado, la pièce inclut un document sonore, la piste audio n° 11, qui permet aux spectateur·rices d’écouter un entretien entre Alejandro Jodorowsky et le philosophe Paul B. Preciado[15]. Au cours de cet entretien, ils discutent du sens du terme « queer » et du pouvoir de l’insulte, ainsi que de l’évolution de ce terme sous l’effet des mouvements identitaires nord-américains dans les années 1980, afin de revendiquer l’existence et la visibilité des sujets queer.
Les tubes comme accès à l’espace-temps de la narration
La présence des tubes se manifeste dès le début, lorsque « C’era un ragazzo come me amava i Beatles e i Rolling Stones » est proposé sous forme de karaoké et accompagné d’une vidéo en ouverture du spectacle. Sans aucun doute, ce morceau répond aux critères énoncés par Peter Szendy[16], qui définit un tube comme une chanson ayant une mélodie simple et répétitive, ainsi qu’une capacité à captiver et à bénéficier d’un immense succès. La chanson de Gianni Morandi, parue en 1966, a marqué de manière durable son époque grâce à son succès éclatant. Les années 1960 représentent l’époque de l’essor économique italien, et l’industrie musicale, stimulée par cette prospérité économique, connaît un immense développement tant en termes de production que de diffusion. La musique devient le symbole de cette renaissance économique et de l’insouciance qui caractérise une Italie émergeant des ravages de la guerre. Les chanteur·ses Gianni Morandi, Mina, Lucio Battisti et Adriano Celentano produisent des chansons qui deviennent des emblèmes de cette décennie en Italie[17]. D’emblée, la réception de la vidéo mobilise des réactions différentes selon qu’elle s’adresse à un public italien ou international. Pour un public italien, la vidéo évoque un sentiment de familiarité et de reconnaissance, car certains indices, tels que l’accent du présentateur et l’ambiance animée du public, rappellent le contexte d’une fête populaire italienne, typique de la région de Romagne, d’où sont originaires les membres de la compagnie. En revanche, un public international pourrait se focaliser sur l’aspect émotionnel de l’enfant qui chante et percevoir la musicalité d’une langue qu’il ne comprend pas, mais qui résonne avec force. De plus, la chanson de Gianni Morandi peut susciter une lecture plus approfondie concernant son histoire et sa relation avec le spectacle. À sa sortie en 1966, la chanson, dont les paroles ont été écrites par Mauro Lusini et arrangées par le célèbre compositeur Ennio Morricone, consacre le succès du chanteur Gianni Morandi. Cependant, la simplicité de la composition musicale et la fonction de divertissement attribuée aux chansons pop ne signifient pas automatiquement que le fond et la forme soient superficiels. D’une part, la chanson a été l’objet de débats et de censure en raison des propos tenus, un effet qui a potentiellement accru son succès commercial ; d’autre part, la chanson aborde un sujet très délicat, à savoir la guerre du Vietnam. Lors de sa sortie, la radiotélévision nationale RAI (Radiotelevisione Italiana), qui est à la fois promoteur et principal producteur de musique en Italie, en interdit la diffusion. Cette décision est justifiée par le fait que l’État italien soumet la chanson à la censure musicale, car elle critique ouvertement un pays ami, les États-Unis, pour leur décision de poursuivre la guerre au Vietnam. Ce choix politique a provoqué, à l’époque, la naissance d’un mouvement de contestation internationale pacifiste[18]. Cette chanson incarnait toutefois les tensions existantes au sein de la société italienne et les aspirations à l’expression et à l’autonomie qui ont ultérieurement conduit aux mouvements étudiants des années 1970 en Italie. Grâce à sa capacité à capter l’esprit d’une génération, la chanson a rencontré un tel succès qu’elle a été reprise par les générations suivantes comme hymne emblématique des mouvements pacifistes nés après les protestations contre la guerre du Vietnam, élargissant ainsi son message à tous les mouvements de paix luttant contre l’injustice de la guerre. Cette chanson a été traduite dans plusieurs langues et interprétée par des artistes célèbres ou emblématiques des mouvements pacifistes, tel·les que la chanteuse Joan Baez aux États-Unis[19].
Gianni Morandi, « C’era un ragazzo che come me amava i Beatles e i Rolling Stones » – extrait
Album Gianni quattro. Un mondo d’amore, 1967
La performance met en évidence l’analogie entre la jeune fille représentée sur la vidéo et l’histoire racontée dans le spectacle. Cette analogie est évoquée par les paroles de la chanson, qui narrent l’histoire d’un jeune garçon italien chantant et relatant la brève vie d’un jeune garçon états-unien qui aimait les voyages, les femmes et surtout la musique des Beatles et des Rolling Stones. La chanson nous plonge dans l’époque des hippies et de la musique qui devient une forme de contestation et de rupture avec la tradition musicale. Elle nous plonge également dans la génération précédente, porteuse de valeurs conservatrices. En effet, le refrain joue sur la phrase « Stop !! Ai Rolling Stones, stop ai Beatles Stones », et le texte de la chanson cite les tubes célèbres, tels que « Help », « Ticket to Ride », « Lady Jane » ou « Yesterday ». La présence de ces titres évoque le pouvoir qu’a la musique à donner voix à la contestation et à inciter les jeunes nord-américains à poursuivre une autre vie. Malheureusement, dans la chanson, la joie de vivre du jeune homme prend brusquement fin face à l’appel aux armes de son pays, les États-Unis, pour partir combattre au Vietnam. Le refrain, « Ta ta ta ta ta ta », bien que mélodique, simule l’horreur des fusillades et reflète le rêve brisé de la vie d’un jeune nord-américain. La chanson et la vidéo plongent les spectateur·rices dans une sonorité et une époque différentes par rapport à celle qui est représentée sur scène, celle des années 1960-1970. Par la suite, la référence musicale souligne le passage de l’Italie aux États-Unis, car la musique crée un lien symbolique entre la réalité de la vie montrée par la vidéo et la fiction de la présence théâtrale de Silvia Calderoni. De plus, la chanson de Gianni Morandi est la seule du répertoire du spectacle chantée en italien. Dès l’apparition sur scène de Calderoni, la musique utilisée provient principalement du contexte nord-américain ou anglais, à l’exception de chansons de Stromae ou du duo Air ou Ibeyi (chantées en anglais). En d’autres termes, la musique initiale devient l’emblème de la culture et de l’époque de sa création, contribuant à façonner l’espace-temps exploré par la narration.
Au cours du spectacle, une autre chanson permet de faire référence à l’espace-temps de l’histoire narrée. Le chanteur Sixto Rodriguez, avec « This Is Not a Song, It’s an Outburst : Or, the Establishment Blues » (1970), accompagne le récit de l’expérience du LSD et de l’époque de la contestation, illustré notamment par la narration d’un dîner familial où le frère de Calliope rentre de l’université habillé comme John Lennon, icône révolutionnaire et pacifiste de la fin des années 1960 et du début des années 1970. L’action reproduit une danse hypnotique et hallucinatoire de Silvia Calderoni, tandis que des images psychédéliques sont projetées en vidéo. Les paroles de la chanson de Sixto Rodriguez, originaire de Detroit, dénoncent la corruption du milieu politique, annonçant la chute du système politico-économique, ainsi que les valeurs bourgeoises qui imprègnent la société. Ainsi, Motus utilise les tubes pour plonger les spectateur·rices dans un espace-temps particulier, tout en mettant en évidence l’esprit de contestation que ces tubes véhiculent. En effet, les tubes donnent voix au malaise vécu par une partie de la société. Il est important de noter que la structure de la pièce repose sur un effet d’échange entre la biographie fictive de la performeuse et la transposition du roman. Motus brouille délibérément les frontières entre la fiction et la réalité, ainsi qu’entre l’identité de l’actrice et celle du personnage, créant ainsi une porosité permanente entre les deux. Alors que le personnage de Calliope est évoqué et constitue une figure centrale autour de laquelle se construit la narration de la pièce, les scènes sont souvent entrecoupées de fragments de citation, de vidéos et de musique choisie par Silvia Calderoni, qui font référence à son parcours et à sa génération, celle des années 1980. Tandis que Calliope, le personnage du livre, évolue dans les années 1960-1970, la musique de l’adolescence de Silvia vient compléter et intégrer l’histoire racontée. Le décalage temporel existant entre les deux personnages est articulé et marqué par des « tubes » qui contribuent à créer un paysage de références musicales s’étendant des années 1960 jusqu’au début des années 2000. L’espace-temps est retravaillé de manière linéaire et chronologique, mais la temporalité est dilatée de manière fictive afin de créer cette osmose et ce dialogue entre les différentes identités et temporalités qui caractérisent le personnage de Calliope.
Déjouer l’illisible :
les tubes à l’épreuve des émotions
Au fur et à mesure que le spectacle progresse, on constate que les interventions musicales accompagnent et marquent les différentes séquences composant le monologue du personnage. Les tubes s’entrelacent avec les aspects narratifs de la pièce et deviennent des éléments dramaturgiques constitutifs. La musique est retravaillée comme élément dramaturgique à part entière, devenant à la fois partie intégrante de la parole de la protagoniste, et amplification de l’intensité émotionnelle.
Il convient également de souligner que cette répartition est mise en évidence sur le plan visuel, car les noms du titre et du chanteur, de la chanteuse ou de la bande sont numérotés progressivement à partir du numéro 1 et précédés par le mot anglais « Track ». Cette inscription visuelle de la musique est projetée à chaque changement de séquence, sur le fond noir de la scène qui fonctionne comme un second écran. « Despair » constitue la première chanson de la playlist.
Yeah Yeah Yeahs, « Despair » – extrait
Album Mosquito, 2013
Le nombre élevé de chansons (23), ainsi que leur inscription visuelle, évoquent l’idée d’un jukebox. Cette image rapproche la performance d’un jukebox théâtral[20]. Issu du domaine du musical, le jukebox théâtral se fonde sur la popularité des chansons utilisées afin d’attirer un public plus large et de célébrer souvent les figures emblématiques de la culture populaire[21]. Cependant, le sujet abordé par Motus et la mise en scène s’opposent totalement à ce consensus culturel. Motus s’appuie sur la convention musicale pour susciter des émotions et des souvenirs chez les spectateur·rices, ainsi que pour traduire une intimité qui peine à se définir à travers les paroles prononcées. Les tubes offrent au public la possibilité d’accéder à l’univers du personnage en explorant le monde du sensible et d’ainsi accéder à l’expérience de la protagoniste. Les tubes viennent donner voix à son état émotionnel, à la narration de ses obsessions et de ses émotions. Cette difficulté à s’exprimer est illustrée au début du monologue lorsque Calliope affirme que la langue, la parole, ne sont capables ni de rendre compte ni de traduire la complexité de l’expérience et de l’existence de son propre monde. Elle souligne que les mots ne peuvent que rarement décrire et restituer ses émotions, son univers intime. Le langage ne parvient pas à traduire notre être au monde, ni à transmettre notre expérience, pas plus qu’il ne permet de nous rendre lisibles en tant que sujets. Elle partage avec le public :
Les émotions. Elles ne peuvent pas être décrites par de simples mots. Les mots ne suffisent jamais. Je ne crois pas aux mots, tristesse, joie, ils sont une simplification du langage patriarcal. Comment décrire une nouvelle émotion, quelque chose qui caractérise notre ressenti[22] ?
Elle cherche une nouvelle description, fait des tentatives pour rendre compte des émotions qu’elle reconnaît exister entre les opposés « la joie au bord du désastre » ou de ce qu’elle a ressenti alors « qu’enfant elle était souvent prise pour un garçon »[23]. Les chansons qui se succèdent viennent donc aider cette exploration de l’indicible et vont accompagner chaque scène. Le tube véhicule ce que Calliope ressent mais ne peut pas exprimer en raison de son manque d’outils linguistiques et culturels pour se définir et pour être défini·e au-delà de la taxinomie de genre.
Cette relation entre le corps, l’action performative et la chanson se construit sur les effets d’oscillation, de ralentissement et de synchronisation entre le morceau joué et les différentes séquences de la narration. C’est le cas du numéro 2, « Step », de Vampire Weekend, lorsque la performeuse synchronise son action avec le refrain de la chanson en mimant en anglais les mots : « I feel it in my bones, I feel it in my bones »[24] (« Je le sens dans mes os, je le sens dans mes os »). Cette expression souligne comment la musique établit une relation privilégiée avec son corps, sa chair, au-delà des limites de la parole et de l’esprit. En effet, lors d’un entretien, Silvia Calderoni précise que la compagnie avait pour objectif de créer une biographie émotionnelle, rendue possible grâce à l’utilisation des tubes[25]. Cette compétence est puisée dans sa propre vie privée, étant elle-même performeuse et DJ. En effet, elle s’est chargée de la sélection musicale du spectacle.
Vampire Weekend, « Step » – extrait
Album Modern Vampires of the City, 2013
Cette utilisation des tubes, reproduits partiellement ou intégralement, en lien avec les épisodes de la vie de Calliope, est présente tout au long du spectacle, à l’exception des parties plus impersonnelles ou théoriques. Les tubes sont choisis pour marquer les épisodes les plus significatifs de la vie de Calliope, véhiculer le message souhaité et amplifier les signifiants. Par exemple, la chanson de Buddy Holly, « Everyday », accompagne la captation vidéo de sa mère en train de jardiner et le récit de Calliope sur le bizarre silence de ses parents après la visite médicale. La découverte de son altérité masculine au sein du corps adolescent est accompagnée par la chanson « One Hit » du groupe The Knife. À ce moment-là, elle expose son corps nu, en quête des éléments masculins cachés en elle. « One Hit » élargit la lecture de l’épisode. D’une part, par le biais d’une manipulation électronique, la chanteuse dissimule sa voix féminine pour la rendre semblable à une voix masculine, ce qui contribue dans le cas du spectacle à la cohérence narrative. D’autre part, le texte de la chanson nous renvoie à une situation de fixité, tandis que sa vocalité déstabilise cette fixité imposée par le monde de l’industrie musicale.
The Knife, « One Hit » – extrait
Album Silent Shout, 2006
Par la suite, le morceau « Coin Operated Boy » des Dresden Dolls accompagne la métamorphose de Calliope et l’acquisition de caractéristiques secondaires masculines, telles que la pilosité et la barbe, soulignant ainsi la nature artificielle de la construction du genre. Lorsque le personnage décide d’assumer son identité masculine, « Nancy Boy » (Placebo) éclate sur la scène avec ses sonorités rock puissantes et grinçantes. Cal déclare alors : « Je suis comme Tirésias, né deux fois. Je m’appelle Cal. »[26] Pour le groupe anglais Placebo, cette chanson représente tant une libération sexuelle qu’une exploration des thèmes de la bisexualité et de l’usage de drogues. « Nancy Boy » se constitue également comme une irruption d’un tube sur scène. En effet, pour la seconde fois, le public est pris par surprise dans l’oscillation rythmique imposée par les tubes. « Nancy Boy » crée une surprise, un effet de secousse pour le public après la chanson précédente de Vincent Gallo, une chanson monotone et monorythmique. « Nancy Boy » insuffle de l’énergie et revitalise la scène, comme pour souligner la prise de conscience et un nouveau départ pour Calliope/Cal.
Placebo, « Nancy Boy » – extrait
Album Placebo, 1996
Par la suite, un aspect dramatique est souligné par la scène où Cal, en quête de définition médicale, consulte un dictionnaire qui renvoie à la figure historique de l’hermaphrodite, ainsi qu’à la notion de monstre. Cal réagit par un cri. Celui-ci découvre le parcours prescrit par les institutions aux corps considérés comme intersexes, et la manière dont la médecine a imposé une redéfinition sexuelle, les contraignant à un binarisme homme/femme et les transformant ainsi en objets d’un processus de normalisation. Sur ce cri désespéré, la musique s’envole au son de « Formidable » de Stromae, un morceau qui constitue de manière poignante l’un des moments les plus intenses et dramatiques de la représentation d’un point de vue émotionnel. En dépit du titre, qui peut tromper en suggérant un sentiment de merveilleux, Stromae chante en réalité la détresse de ne pas se sentir en adéquation avec soi. Dans le cas de Cal, le fait de ne pas être reconnu par la société. Confronté à ce jugement, Cal s’oppose à l’opération chirurgicale forcée et décide de fuir Detroit, seul·e et désespéré·e, bien que convaincu que son corps lui appartienne et qu’il possède sa propre cohérence, indépendamment des normes imposées. « Road to Nowhere » des Talking Heads accompagne la scène de sa fuite vers San Francisco et son long voyage en auto-stop. Un voyage qui amène le personnage à explorer sa masculinité et à se désigner comme Cal, au cœur de San Francisco, une ville emblématique de l’histoire états-unienne, historiquement reconnue comme un symbole de la contre-culture, de l’émancipation sexuelle, ainsi que de l’histoire LGBT nord-américaine.
Talking Heads, « Road to Nowhere » – extrait
Album Little Creatures, 1985
L’aspect émotionnel et la réception de la pièce sont retravaillés par les tubes. Le dialogue entre les tubes et la scène parvient à créer du sens, mais aussi à l’amplifier, ouvrant ainsi à d’autres niveaux de lecture et de ressenti. L’irruption se manifeste comme l’entrée impétueuse d’une sonorité, provoquant ainsi la rupture et la modification d’un rythme, et par conséquent, la dynamique de l’action théâtrale. Elle se constitue comme la convocation d’un élément imprévu et de la mutation au sein de la scène jouée. Cette irruption constitue une rupture par rapport au rythme imposé, engendrant un effet de surprise et de perturbation chez les spectateur·rices. Il s’agit d’une ouverture vers un autre scénario, une rupture temporelle qui marque la réception de la pièce.
Il faut souligner que dans MDLSX, l’utilisation quantitative des tubes et de la musique provoque un effet de saturation chez les spectateur·rices. L’effet de surprise qu’implique le concept d’irruption est atténué par une dramaturgie théâtrale qui devient un mécanisme établi et répété, fondé sur la dissolution, l’oscillation rythmique et l’interruption.
Tube et identité :
recréer un lien au-delà de la norme
Avec MDLSX, Motus propose une perspective théorique et politique du sujet non normative. En effet, MDLSX problématise la lecture du sujet et son statut ontologique ainsi que sa représentation au sein de la société, en établissant de nouvelles relations dans le contexte narratif. Comment narrer un corps, un genre, qui ne soient pas lisibles socialement ? L’histoire racontée par MDLSX inscrit le spectacle dans le domaine du queer, dès lors que le sujet appartient à la catégorie des identités qui se situent en dehors de la binarité des genres. Le spectacle semble proposer une nouvelle stratégie de lecture de ces subjectivités à travers l’hybridation des différents éléments, une stratégie qui caractérise la recherche queer[27].
Daniela Nicolò précise que le titre MDLSX évoque intentionnellement une sonorité cacophonique, puisque le fait de l’écrire sans les voyelles le rend imprononçable et illisible[28]. Il s’agit d’une référence directe à l’illisibilité sociale et culturelle dont le corps et l’identité de Calliope sont l’objet. La question de l’illisibilité du sujet est tout aussi importante pour situer les tubes et la réception de l’œuvre par les spectateur·rices. En abordant un sujet si méconnu par le grand public, Motus emploie les tubes pour établir un dialogue avec les spectateur·rices. Les tubes se constituent en effet comme un domaine commun de partage, permettant ainsi au public d’accéder à l’expérience de Calliope et de s’identifier. Autrement dit, la compagnie tente de combler la distance entre l’expérience de l’auditoire et l’histoire narrée. Motus s’efforce d’établir un dialogue et une relation capables de susciter de l’empathie chez les spectateur·rices, tout en mobilisant leurs sensations et leurs pensées autour du sujet. La compagnie cherche à perturber le public, à le pousser à réfléchir, que ce soit dans le domaine du sensible (la musique) ou de l’esprit (les textes de philosophie).
Les citations des œuvres du philosophe Paul B. Preciado occupent une place importante dans la narration de la pièce. En effet, la première citation directe du philosophe survient après la scène de « Coin Operated Boy » des Dresden Dolls. Le contrat contra-sexuel, reproduit fidèlement du livre Manifeste contra-sexuel[29], est lu directement par Silvia Calderoni, au micro, à l’aide d’une tablette. Caldernoni déclare souscrire à ce contrat, revendiquant ainsi sa désobéissance et sa désidentification par rapport aux normes de production de la sexualité et du corps sexué. La lecture se fait dans une salle éclairée et dépourvue de musique. La pensée de Paul B. Preciado sera de nouveau évoquée par le document sonore numéro 11, cette fois dans l’obscurité de la salle, lors d’un entretien avec le philosophe Alejandro Jodorowsky, dont la voix définit la théorie queer en soulignant la plasticité du sexe et du genre qu’elle convoque.
Les repères philosophiques contribuent ainsi à encadrer la démarche de prise de conscience du sujet, le rendant intelligible tant pour lui-même que pour le public. Lorsque les textes sont évoqués, les tubes musicaux sont interrompus, créant un espace distinct entre la musique et les extraits philosophiques. Ces deux éléments dramaturgiques ne se présentent pas en même temps, mais s’intègrent dans un continuum dramaturgique. « Il existe une logique implacable », affirme Véronique Verdier : « la musique suscite des émotions précisément parce qu’elle exprime des émotions. »[30] Ce dialogue entre l’émotion (les tubes) et la raison (le logos) façonne la réception de la pièce autour du sujet intersexuel. De plus, l’utilisation des deux registres différents, d’une part, la musique populaire, d’autre part, les extraits philosophiques, encadre la pièce dans l’esthétique queer et notamment dans l’hybridation des différents registres.
La compagnie impose une vision politique en encourageant le public à se remettre en question et à reconnaître sa position par rapport au sujet abordé. Silvia Calderoni reconstruit son personnage dans un jeu qui se façonne par rapport à la société, à un « nous » symbolique. La subjectivité se construit par un processus de reconnaissance au sein de la société. De plus, chaque subjectivité requestionne la notion de « nous », tant en termes de culture dominante que d’appartenance à un corps social. Ce « nous » vient à signifier la coexistence sociale. Un « nous » auquel le public est appelé à se confronter. Cal déclare :
Quel « nous » ? Quel « moi » ? Je préfère parler des fleurs. La question à poser n’est pas de savoir quelle est notre essence commune, mais ce qui nous tient ensemble lorsque nous disons « nous ». Qu’est-ce qui mobilise le pronom « nous » ?
De plus, la mise en scène convoque également la remise en question des spectateur·rices en tant que sujets voyeurs, une convention théâtrale qui est ici amplifiée et soulignée par l’utilisation d’une petite caméra à main par Silvia Calderoni. Cette caméra renvoie en direct l’image sur l’écran, explorant son visage, la nudité de son corps ainsi que les signes de masculinité ou de féminité. Il s’agit d’une modalité d’observation du corps qui défie le public dans son rôle de voyeur. Ce point est crucial car il souligne la prédominance du visuel pour construire les codes esthétiques de la féminité et de la masculinité tant en médecine que dans la société.
L’écran rond, évoquant la forme de l’œil, nous renvoie également à l’idée d’une société de surveillance foucaldienne, une surveillance omniprésente où nos corps sont assujettis à une norme autant qu’à nos désirs. Rosi Braidotti rappelle que « la révolution multimédiale contemporaine a établi un véritable empire du regard »[31], ce que Donna Haraway définit comme « les yeux du satellite surveillant chacun de nous »[32]. À ce propos, une scène, quand le personnage est à San Francisco, est emblématique. Alors qu’il·elle travaille dans un night-club, déguisé·e en sirène, Calliope ferme les yeux afin d’éviter le regard voyeuriste des spectateur·rices. À ce moment-là, l’action théâtrale est subitement interrompue, la lumière éclaire le public, et Silvia Calderoni observe les spectateur·rices, leur rendant ainsi leur regard. De plus, la narration met l’accent sur la juxtaposition entre le récit personnel, la dimension émotionnelle, le pouvoir de production du sujet intersexe par la médecine et les contraintes sociales qui produisent le sujet social à partir de la norme du sexe d’assignation. La dramaturgie se construit sur un « je » narratif convoquant l’idée d’un « je » polyphonique. Le « je » narratif se construit en effet à partir de la vie littéraire de Calliope, ainsi qu’en s’appuyant sur le « je » autobiographique renvoyant à Silvia Calderoni elle-même, principalement grâce aux captations des archives familiales présentées. Cette ambiguïté provoquée par la porosité de la frontière entre le réel et la fiction est intentionnellement retravaillée par Motus. Ainsi, à la fin du spectacle, sur l’avant-dernier tube, « Imitation of Life » du groupe américain R.E.M., on découvre la captation vidéo de la jeune Silvia Calderoni avec son père, dansant ensemble, heureux et insouciants.
R.E.M., « Imitation of Life » – extrait
Album Reveal, 2001
La force de la pièce réside dans sa capacité à déjouer la complexité du sujet abordé, à savoir le spectre très vaste des corporéités et des expériences associées au terme « intersexuel », en recentrant la narration autour de l’humanité de Cal. Au sein du dispositif théâtral, parmi la pluralité des éléments dramaturgiques, les tubes constituent un élément fondamental en reliant le monologue, les archives familiales et les plans vidéo proposés, dans le but de susciter cet effet de déplacement entre réalité et fiction que Motus poursuit en permanence.
Notes
[1] Le spectacle a longtemps tourné. Il a été joué dans différentes villes du monde, parmi lesquelles Rome, Milan, New York, Sydney, Rotterdam, Montréal, Santiago du Chili, São Paulo, Saint-Pétersbourg, Paris, Berlin, etc.
[2] Depuis le spectacle Rumore Rosa en 2006, Silvia Calderoni collabore de manière continue avec la compagnie Motus.
[3] Jeffrey Eugenides, Middlesex, London, Fourth Estate, 2002.
[4] Programme de salle MDSLX (traduction de l’italien vers le français réalisée par l’autrice).
[5] La playlist complète est accessible sur Spotify (liste non classée) ou directement sur le site de Motus (liste classée par ordre d’apparition des titres dans le spectacle).
[6] Peter Szendy, Tubes. La philosophie dans le juke-box, Paris, Minuit, coll. Paradoxe, 2008.
[7] Les personnes intersexes ont des caractéristiques sexuelles (chromosomes, hormones, organes génitaux) qui ne correspondent pas aux définitions types des corps féminins ou masculins. En d’autres termes, les personnes intersexes naissent avec des variations dans leurs caractéristiques sexuelles. Le terme « intersexe » désigne une large gamme de subjectivités souvent associées par la médecine à certaines pathologies. Il fait référence à des individus présentant des caractéristiques des deux sexes, tout en se situant entre les deux sexes reconnus par la société dominante. Cette condition remet en question la taxinomie de la norme de la binarité des genres, ainsi que le modèle binaire homme-femme sur lequel notre société fonde l’organisation des relations sociales.
[8] Michel Foucault, Herculine Barbin, dite Alexina B. Mes souvenirs, Paris, Gallimard, 1978.
[9] Judith Butler, Défaire le genre, nouvelle édition augmentée, trad. Maxime Cervulle et Joëlle Marelli, Paris, Éditions Amsterdam/Multitudes, 2016.
[10] Elsa Dorlin et Dominique Fougeyrollas-Schwebel, Le Corps, entre sexe et genre, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 61-84.
[11] Susan Stryker et Stephen Whittle, The Transgender Studies Reader, London, New York, Routledge, 2006, p. 300-314.
[12] Les citations proviennent principalement de : Judith Butler, Trouble dans le genre: pour un féminisme de la subversion, trad. Cynthia Kraus, Paris, La Découverte, 2005.
[13] Paul B. Preciado, Manifeste contra-sexuel, trad. Marie-Hélène Bourcier, Paris, Balland, coll. Modernes, 2000.
[14] Donna Haraway, Manifeste cyborg et autres essais: sciences, fictions, féminismes, anthologie établie par Laurence Allard, Delphine Gardey et Nathalie Magnan, Paris, Éditions Exils, coll. Essais, 2007.
[15] Alejandro Jodorowsky avec Beatriz Paul Preciado, « Entrevistas que sanan », entretien vidéo, Carta Blanca, RTVE, 2006.
[16] Ibid.
[17] Ario Gnudi, Non solo note. La musica degli anni ’60, Bologna, Persiani, 2020.
[18] Alexandra Boudet-Brugal, « Étudiantes américaines, militantisme et guerre du Vietnam : guerre, paix et ‘‘genre’’ dans les années 1960», Amnis [en ligne], 8|2008.
[19] La chanson a été traduite en plusieurs langues et interprétée par différents chanteur·ses et groupes. Elle a été traduite en portugais et interprétée par le groupe brésilien Os Incríveis. Ensuite, elle a été traduite en grec et chantée par We Five (dont Demis Roussos faisait partie), puis en russe et chantée par le groupe Pojuščie Gitary, et enfin en espagnol et interprétée par Santy.
[20] Kevin Byrne et Emily Fuchs, The Jukebox Musical: An Interpretive History, Londres, New York, Routledge, 2022.
[21] Le jukebox musical, dérivé du genre musical, exploite la dimension commerciale de la musique pour attirer un public plus large et plus jeune. Il se présente sous forme de comédie musicale sur scène ou de film musical, où la plupart des chansons sont des succès populaires bien connus plutôt que des compositions originales. Certains jukebox offrent une grande variété de chansons, tandis que d’autres se concentrent sur les chansons interprétées par un·e seul·e chanteur·se ou groupe. Le jukebox musical aborde souvent la vie d’une star de la musique pop, en célébrant sa musique.
[22] Transcription du monologue à partir de la vidéo fournie par la Compagnie Motus. Toutes les traductions du spectacle sont de notre fait.
[23] Ibid.
[24] Ibid.
[25] Rossella Menna, « MDLSX. Perché uno spettacolo diventa cult », Doppiozero, 17 nov. 2016.
[26] Ibid.
[27] Muriel Plana et Frédéric Sounac (dir.), Esthétique(s) queer dans la littérature et les arts: Sexualités et politiques du trouble, Dijon, Éditions Universitaire de Dijon, 2015.
[28] Entretien mené par moi-même à Bologne le 5 mai 2019 avec Daniela Nicolò et Enrico Casagrande.
[29] Ibid.
[30] Véronique Verdier, « Des affects en musique : de la création à l’expérience esthétique », Insistance, n° 5, 2011|1, p. 69-81.
[31] Rosi Braidotti, Materialismo radicale. Itinerari etici per cyborg e cattive ragazze, Milan, Meltemi, 2019, p. 50.
[32] Ibid.
L’autrice
Stefania Lodi Rizzini a obtenu son doctorat en études théâtrales à l’Université Paris 3 Sorbonne-Nouvelle. Ses domaines de recherche portent sur le corps, la performance contemporaine, le genre, le queer, la transidentité et l’écoféminisme. Parmi ses publications : « Le corps en devenir, la déconstruction du sujet trans », In Vivo Arts [en ligne], numéro hors-série « Dépasser les binarités : représentations et performances des genres et des sexualités » (coord. Mélissa Bertrand et Pablo Dubott), juin 2022 ; « The Undisciplined Body: Phia Ménard and her Experience of Organic Performance » dans Sandra D’Urso et Anna Renée Winget (dir.), The Palgrave Handbook of Queer and Trans Feminisms in Contemporary Performance, Palgrave, 2021 ; « Masculinity and Commercial Sex from the Perspective of Giuliana Musso’s Sexmachine », dans Kate Mulley (dir.), Dramaturgy of Sex on Stage in Contemporary Theatre, Routledge, 2024. Elle est membre de EASTAP (Association Européenne pour l’Étude du Théâtre et de la Performance) où elle est responsable de la section des projets internationaux.
Pour citer ce document
Stefania Lodi Rizzini, « Tubes musicaux et identités minoritaires dans MDLSX de Motus », thaêtre [en ligne], Chantier #9 : Tubes en scène ! L’irruption du tube sur les scènes théâtrales contemporaines (coord. Agnès Curel, Corinne François-Denève et Floriane Toussaint), mis en ligne le 15 janvier 2025.
URL : https://www.thaetre.com/2025/01/15/tubes-musicaux-et-identites-minoritaires-dans-mdlsx-de-motus/
À télécharger
Tubes musicaux et identités minoritaires dans MDLSX de Motus