Le tube et ses droits : du côté de la Sacem

Entretien réalisé par Corinne François-Denève

 

# 9 | Tubes en scène ! | Revue thaêtre

 

 

La Société des auteur·rices, compositeur·rices et éditeur·rices de musique est ici représentée par Emma Griffon-Renaud, responsable adjointe du Service sociétaires/Direction juridique, ainsi qu’Anthony Rival et Mathilde Gaschet, membres de la Direction de la communication. Plusieurs entretiens ont été menés avec eux entre le 6 juillet 2023 et le 21 avril 2024.

 

Notre numéro se propose de parler de l’emploi des « tubes » au théâtre (hors comédies musicales et spectacles proprement musicaux), et nous nous posions des questions du point de vue du droit et des droits. Pouvez-vous d’abord nous parler de la Sacem ?

La Sacem collecte et répartit les droits des auteurs et autrices, compositeurs et compositrices et éditeurs et éditrices de musique. C’est une société privée à but non lucratif au rayonnement international dont les territoires d’exercice sont la France métropolitaine et d’outre-mer, ainsi que le Luxembourg, le Liban et Monaco. Cela lui permet d’agir au plus près des territoires et d’accompagner ses membres, mais aussi ses clients et clientes qui utilisent la musique dans le cadre de leur activité comme les cafés, hôtels, bars, restaurants, magasins… D’autres sociétés similaires existent dans les autres pays mais chaque auteur et autrice, compositeur et compositrice et éditeur et éditrice est libre d’aller dans la société de son choix. C’est la raison pour laquelle la Sacem compte des membres issu·es de 174 nationalités. Elle intervient dès qu’une musique est diffusée, pour établir un « contrat de représentation » qui permet au créateur et à la créatrice de l’œuvre en question et éventuellement à son éditeur ou éditrice, de percevoir les droits qui leur reviennent.

La première question que nous nous posions était celle de savoir s’il y avait un « tube des tubes » au théâtre, ou si la Sacem pouvait établir une sorte de hit-parade des tubes les plus utilisés en France dans le cadre de spectacles.

Nous ne publions pas ce genre de données qui sont communiquées à nos seuls membres quand leurs œuvres sont utilisées dans un spectacle donné.

Du côté des droits, justement, qu’en est-il ? Les montages budgétaires étant de plus en plus complexes, en particulier pour des petites compagnies, on imagine que le poids des droits à acquitter à la Sacem, lorsqu’on décide d’utiliser un « tube » doit faire partie de la réflexion des créateurs et créatrices. Est-il « moins cher » d’utiliser un « tube » ou un autre ? Cela peut en effet jouer dans les choix artistiques, qui deviennent des choix économiques.

Le succès d’une œuvre n’a pas d’incidence sur le montant de droits à payer pour pouvoir l’utiliser. Les redevances collectées par la Sacem au titre du droit de représentation et d’exécution publique des œuvres ne dépend pas en effet de la notoriété du créateur et de la créatrice ou de l’artiste, non plus que de celle de l’œuvre, étant précisé par ailleurs que le mérite est une notion proscrite en droit d’auteur. Les montants collectés sont déterminés en fonction de critères liés au spectacle ou au lieu dans lequel il est joué : notamment la jauge de la salle, la durée d’utilisation de l’œuvre, ainsi que le fait que l’entrée soit payante ou non. La Sacem accompagne toutes celles et ceux qui font vivre son répertoire et fait preuve d’adaptabilité pour les accompagner dans leurs démarches. Ils peuvent retrouver toutes les informations utiles sur le site internet de la Sacem, espace « clients utilisateurs ».

Justement, sur le document, la rubrique « spectacles » ne mentionne que les concerts, ou prestations de musicien·nes, et pas forcément l’utilisation d’un disque lors d’une pièce : qu’en est-il ?

Dans l’hypothèse de l’utilisation d’un disque lors d’une pièce de théâtre, le service rendu par l’usage de notre répertoire n’est pas comparable avec celui constaté pour un spectacle musical. Il s’agirait alors de « musique de scène » dont on trouve également les modalités d’autorisation et de tarification correspondantes sur le site internet de la Sacem.

Pouvez-vous nous donner une idée du prix, disons pour trente secondes d’ « Alexandrie Alexandra », au Théâtre de la Colline ?

S’il s’agissait de musique de scène, et pour trente secondes d’ « Alexandrie Alexandra », le montant des droits serait déterminé, selon la solution la plus favorable aux auteurs et autrices, par l’application du taux de 0,1 % sur les recettes réalisées par les entrées et/ou les dépenses. Il est ici présupposé que – considération prise de l’importance et de la notoriété des propositions artistiques du Théâtre de la Colline – les redevances forfaitaires ne trouveraient pas à s’appliquer.

On remarque que, dans les programmes des spectacles, ou dans les génériques de captations, les musiques utilisées ne sont pas mentionnées, sauf exception. Pourquoi cela ?

La mise en avant de la qualité de l’auteur·rice sur son œuvre est une prérogative attachée au droit moral que la Sacem n’administre pas puisque l’une des caractéristiques de ce droit est d’être incessible. Il appartient aux utilisateur·rices/producteur·rices de veiller au respect de ce droit.

Je veux utiliser une chanson des Beatles dans mon spectacle : à qui dois-je faire la demande ?

La Sacem gère son répertoire et, du fait des accords de représentation conclus avec des organismes de gestion collective étrangers, l’immense majorité du répertoire mondial. Dès lors, la Sacem est seule compétente pour délivrer sur le terrain des droits patrimoniaux d’auteur une autorisation au nom et pour le compte de l’organisme de gestion collective au répertoire duquel l’œuvre étrangère appartient.

« Honesty » de Billy Joel est utilisé dans Der Menschenfeind (Le Misanthrope) d’Ivo van Hove, créé en Allemagne, et repris en France à l’Odéon : l’utilisation des droits (ici la chanson enregistrée de Billy Joel) fait-elle partie du prix de cession du spectacle ?

Lorsque l’utilisation d’une œuvre relève de l’autorisation de la Sacem, qu’il s’agisse d’une œuvre de son répertoire ou d’une œuvre du répertoire d’un organisme de gestion collective étranger ayant confié à la Sacem le soin de gérer son répertoire sur ses territoires d’exercice aux termes d’un accord de représentation, seules les conditions tarifaires de la Sacem trouvent à s’appliquer, en sorte que le « prix de cession du spectacle » ne peut absolument pas couvrir la rémunération attachée à l’utilisation de l’œuvre.

La question du support joue-t-elle ? Est-ce la même chose de diffuser la musique enregistrée, ou de faire interpréter sur scène la chanson choisie par un·e des comédien·nes ?

Qu’il s’agisse de musique jouée sur scène ou enregistrée, la Sacem interviendra dans les deux cas.

Est-ce que toutes les compagnies déclarent l’utilisation d’un tube ?

Dès lors qu’une œuvre de son répertoire est diffusée publiquement, la Sacem intervient pour collecter et répartir les droits aux auteur·rices, compositeur·rices et éditeur·rices de l’œuvre en question. Les compagnies de théâtre sont, par nature, sensibles aux enjeux du droit d’auteur puisqu’elles sont amenées à jouer des textes de théâtre de pièces existantes. Elles comprennent donc l’importance de déclarer le programme des œuvres musicales interprétées à la Sacem.

Si on retouche un peu une chanson, si on mixe, si on n’utilise que la mélodie, que les acteur·rices chantent ou qu’on n’utilise que quelques secondes, échappe-t-on aux droits ?

Une œuvre est le fruit d’un travail artistique et créatif d’un·e auteur·rice. Qu’elle soit, ou non, retravaillée c’est-à-dire arrangée ou adaptée, mixée, samplée, ou encore utilisée en totalité ou partiellement, son exploitation ne fait pas l’objet d’une exonération de droits d’auteur, sauf dans le cadre des exceptions prévues limitativement par la loi comme celle dite du cercle de famille.

Est-ce que la parodie rentre en ligne de compte ?

La parodie, contrairement à un arrangement ou une adaptation, ne nécessite pas l’autorisation de l’auteur·rice sur le terrain du droit moral. Encore faut-il que les conditions de la parodie (intention humoristique et absence de risque de confusion entre l’œuvre parodiée et la parodie notamment) soient toutes bien remplies.

 

Pour citer ce document

Mathilde Gaschet, Emma Griffon-Renaud et Anthony Rival, «  Le tube et ses droits : du côté de la Sacem », entretien réalisé par Corinne François-Denève, thaêtre [en ligne], Chantier #9 : Tubes en scène ! L’irruption du tube sur les scènes théâtrales contemporaines (coord. Agnès Curel, Corinne François-Denève et Floriane Toussaint), mis en ligne le 15 janvier 2025.

URL : https://www.thaetre.com/2025/01/15/le-tube-et-ses-droits/

 

À télécharger

Le tube et ses droits

 

 

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